«Les progrès fulgurants enregistrés ces dernière années par les développements génomiques et biotechnologiques remettent en cause les certitudes collectives d'antan et bouleversent les règles morales ainsi que les valeurs sociales et culturelles établies. Ces exploits scientifiques, ces savoir-faire technologiques, bien qu'ils fascinent l'imagination et suscitent l'espoir ou l'admiration, inquiètent et avivent la crainte de risques majeurs associés à cette spirale du progrès. Une réflexion éthique sur les enjeux liés aux sciences de la vie, plus particulièrement aux développements de la génomique et de la biotechnologie, s'impose», peut-on lire dans rapport émis par l'Institut international de recherche en éthique biomédicale (IREB).
L'Institut, qui sera co-dirigé par la professeure Bartha Maria Knoppers, de la Faculté de droit, et Christian Hervé, de la Faculté de médecine de l'hôpital Necker de Paris V, a récemment été créé afin de favoriser la réflexion sur les recherches qui se font dans le domaine biomédical et sur l'impact de leurs applications. L'IREB vise la création d'un réseau transatlantique d'échanges internationaux et une plus grande mobilité de chercheurs qui s'intéressent à la question de l'éthique biomédicale.
Les principales questions d'éthique auxquelles s'intéresse l'IREB tournent autour de trois axes: l'éthique de la recherche, la génétique humaine (recherche et soins) et les systèmes de santé et les réseaux de soins. Ces trois axes de recherche regrouperont des chercheurs de diverses disciplines et origines institutionnelles et donneront lieu à des échanges et à des études comparatives de niveau international afin de comprendre comment les cultures influent sur les normes et les pratiques adoptées. Chaque axe comprendra aussi l'analyse des implications sociales, éthiques, culturelles, juridiques et économiques qui en découlent.
L'IREB recevra une aide financière annuelle du gouvernement du Québec pour la réalisation de ce projet de 300 000$ et ce, pendant 5 ans. L'Institut est un réseau sans murs, dont les points d'ancrage sont le Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal et le Laboratoire d'Éthique Médicale, de droit de la Santé et de Santé Publique de l'Hôpital Necker de Paris V. Cette coopération institutionnelle entre la France et le Québec s'exerce sous l'autorité de la Commission permanente de coopération franco-québécoise (CPCFQ).
Axe 1 : L'éthique de la recherche
En dépit de lignes directrices multiples et d'un encadrement toujours accru, l'éthique de la recherche fait toujours l'objet de critiques. Que ce soit la question du besoin de surveillance continue une fois le protocole approuvé ou la question de la participation à la recherche (ou pas) de personnes inaptes ou mineures, l'éthique de la recherche comme «institution» ou «processus» commence à attirer l'attention du public et des décideurs.
En France tout comme au Canada, la pierre angulaire de l'encadrement de la recherche sur des individus repose sur le travail des comité d'éthique de la recherche, appelés en France Comité de protection des personnes qui se prêtent à une recherche biomédicale (CCPPRB). Ces comités doivent veiller à l'interprétation et à l'application des principes éthiques fondamentaux en vue d'assurer la promotion et la protection des participants à la recherche. En France, les lois de bioéthique de 1994 sont en train d'être révisée. Au Canada, l'entrée en vigueur de l'Énoncé de politiques des trois conseils et du plan d'action ministériel en éthique de la recherche et intégrité scientifique du ministère de la Santé et des Services sociaux au Québec ont renforcé l'obligation de suivi ou de surveillance continue par les comités d'éthique de la recherche. L'évaluation des rôles et fonctionnements de ces comités, de manière comparative entre les deux pays, constitue le premier objectif de cet axe.
Par ailleurs, la reconnaissance de la vulnérabilité de certaines populations (enfants, personnes inaptes, etc.), ainsi que l'émergence d'une sensibilité de la diversité culturelle des communautés, mettent en question notre cadre éthique fondé sur la protection de l'individu. Il est par conséquent essentiel de s'interroger sur le processus et l'adéquation des mécanismes de communication, de contrôle et de protection qu'est le consentement à la recherche.
Par surcroît, l'alliance encouragée entre le secteur privé et la recherche universitaire fait entrer la commercialisation dans les mœurs académiques. Les compagnies des sciences de la vie investissent de plus en plus dans la recherche académique et cela crée des pressions et des conflits; les pressions étant dues au désir d'obtenir des brevets, et les conflits au fait que les chercheurs et les universités se voient offrir des parts ou ont un intérêt financier dans la recherche. Ceci limite non seulement la collaboration scientifique et la liberté d'expression académiques (incluant celles des étudiants gradués), crée des conflits, mais aussi tend à dicter les priorités et la direction de la science. Le brevet lui-même s'il n'est pas suivi de droits et de licence très élargis, peut créer des inégalités d'accès dues aux coûts ainsi que des inégalités de bénéfices dès lors que tous ceux qui ont contribué (soit via des échantillons d'ADN, soit via de l'information génétique) n'en bénéficieront pas nécessairement.
Les chercheurs se doivent donc d'examiner les enjeux relatifs aux pratiques liées à la valorisation industrielle de la recherche, les conflits d'intérêts, le partage des bénéfices éventuels et surtout la commercialisation partielle ou totale des éléments et produits du corps humain utilisés et produits dans ce cadre.
Axe 2 : La génétique (recherche et soins)
Durant les vingt dernières années, la recherche en génétique et les soins géniques ont progressé à une rapidité prodigieuse. Pensons seulement au diagnostic prénatal, au dépistage génétique, à la thérapie génique, à la pharmacogénomique, au clonage, etc. Cette révolution génomique permet à la médecine d'avoir une finalité non plus seulement curative, mais aussi préventive. On comprend alors la fascination du public pour ces avancées technologiques qui lui permettent non seulement de le soigner mais aussi de connaître son avenir pour mieux l'attendre, le préparer, voire l'orienter…
La recherche en génétique et les soins géniques qui y sont associés permettent de modifier le devenir biologique des individus, mais ils entraînent aussi des changements dans les rapports humains. Ces changements risquent d'avoir des conséquences économiques, socio-culturelles, juridiques et politiques. Un encadrement socio-éthique et juridique est essentiel afin de répondre non seulement aux besoins actuels mais aussi à ceux qui peuvent d'ores et déjà être entrevus. Trois domaines méritent ainsi une attention particulière, à savoir: les tests génétiques, le dépistage et le suivi; la pharmacogénomique et les essais cliniques; et l'ingénierie génétique.
On reconnaît de plus en plus le rôle joué par les gènes dans la survenance de certaines maladies. Certaines affections dépendent d'un seul gène, (maladies monogéniques); d'autres sont tributaires de plusieurs (maladies polygéniques); d'autres encore résultent d'un ou plusieurs gènes associés à des facteurs environnementaux (maladies multifactorielles). Les tests génétiques, qui visent à identifier ces affections génétiques, sont de plus en plus intégrés aux soins médicaux, et ce, dans un but de diagnostic et de surveillance. Les tests génétiques sont aussi utilisés pour l'étude de variations génomiques sur des sous-populations ou des populations globales. Or, les regroupements par probabilité de risque peuvent conférer une étiquette sociale connotée négativement ou associer certains comportements ou certains groupes à des maladies. Par exemple, les résultats issus des tests génétiques pourraient être utilisés à des fins discriminatoires, que ce soit pour l'accès à l'assurance, à certains emplois, à des prêts bancaires, etc.
Quant à la pharmacogénomique, elle est intégrée désormais dans les règles classiques des essais cliniques. Cette approche tend à délaisser les approches traditionnelles centrées sur les sentiers métaboliques au profit d'une approche basée sur des profils SNP (Single Nucleotide polymorphisms) individualisés. Cette nouvelle approche jugée plus efficace, permettra l'établissement de profils individualisés, une plus faible toxicité et un dosage individualisé des médicaments. À cet effet, l'industrie pharmaceutique prévoit combler les besoins des banques d'échantillons par la prise en charge de l'échantillonnage d'ADN lors des essais cliniques traditionnels. Mais, est-ce que l'échantillonnage d'ADN peut simplement se greffer aux essais cliniques sur les médicaments ? Étant donné les implications juridiques, sociales et même politiques de cette technique, un réflexion éthique devrait être développée.
Il en va de même pour l'ingénierie génétique. Depuis les années 1980, certaines maladies héréditaires font l'objet d'essais de thérapie génique. Il existe deux formes de recherche sur la thérapie génique. La première, la thérapie somatique, vise à modifier les cellules non sexuelles dans le but de corriger une maladie génétique; la seconde, la thérapie germinale, implique la manipulation de l'ADN chez l'embryon au tout début de son développement. Néanmoins, cette technique soulève des questions de sécurité et de surveillance. Actuellement, les manipulations génétiques ne peuvent porter que sur les cellules qui n'interviennent pas dans la reproduction, soit sur les cellules somatiques. La thérapie germinale fait encore l'objet de débats et de controverses; certains la jugent contraire au respect de l'espèce humaine et l'interdisent même à des fins thérapeutiques.
Enfin, les scientifiques spécialisés en recherche en génie génétique travaillent sur le clonage à des fins thérapeutiques de cellules embryonnaires en vue de créer des tissus ou des organes humains compatibles et transplantables pour des affections graves, telles que les maladies d'Alzheimer et de Parkinson, la fibrose kystique et le diabète. Toutefois, le clonage entraîne des craintes et il importe de se pencher sur ses conséquences, même si son but est thérapeutique.
Axe 3 : Les systèmes de santé et les réseaux de soins
Les conditions d'administration des soins de santé sont dans une vaste mesure déterminées par la structure même des systèmes de santé. Cette structure est certes arrêtée par les textes législatifs mais elle est aussi modelée par des règles d'autres sources ainsi que par des pratiques administratives. Ces règles et pratiques, qu'il s'agisse de celles qui portent sur la structure des systèmes et de leurs composantes ou de l'allocation des ressources dont ils disposent, infléchissent à la fois les droits des patients et les devoirs professionnels et des organisations. Dès lors, l'évaluation éthique des comportements qui se situent en aval de ces règles et pratiques ne peut être complète sans égard à l'évaluation éthique de ces dernières. Cette forme d'évaluation pose le défi des intersections entre le politique, le juridique et l'éthique. Elle est relativement innovante en ce qu'elle propose d'ajouter aux méthodes plus classiques d'évaluation des politiques sociales une grille d'analyse issue de méthodologies généralement appliquées à des choix et à des décisions de portée individuelle. L'objectif de cet axe de développement de l'IREB est double: dans un premier temps, proposer des méthodologies scientifiquement valides et , ensuite, en valider l'application à des domaines où les interventions à portée collective sont le plus susceptible de déterminer les conditions d'administration des soins.
Les développements récents et rapides des connaissances scientifiques entraînent des difficultés dans leur application et leur développement au sein des systèmes de santé qui nécessitent une approche coordonnée et prospective des politiques dans le domaine et qui se doivent d'informer le public sur leur élaboration, leur orientation et leur utilisation. Là encore, un encadrement socio-éthique et juridique est essentiel afin de répondre non seulement aux besoins actuels mais aussi à ceux qui peuvent d'ores et déjà être entrevus. Qu'on pense à l'informatisation des banque de données et des dossiers médicaux, ou à certains aspects de la santé publique, telle que la surveillance des maladies, laquelle doit être faite dans un intérêt public, mais tout en respectant la diversité culturelle des communautés. Ici, l'éducation du public en même temps que la connaissance de ses besoins et de ses attentes sont primordiales. L'attention doit en même temps être portée sur le besoin de protection contre des préjudices collectifs et sur la promotion de valeurs et d'intérêts collectifs.