Volume 40 - numÉro 1 - 29 août 2005 |
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Nuits blanches au mont MéganticDeux étudiants en astrophysique prennent les commandes du télescope
Au sommet de la plus haute montagne du Québec accessible par route, à 1111 m d’altitude, André-Nicolas Chéné jette un coup d’œil sur l’horizon et pousse un léger soupir en apercevant les nuages. Désespéré? «Pas du tout, répond-il calmement. Nous sommes dans une région où le ciel est noir – c’est-à-dire qu’il n’est pas trop contaminé par la pollution lumineuse – mais souvent couvert. Comme si les vents dominants nous envoyaient tous les nuages de la côte.» Même si l’observatoire du Mont-Mégantic dispose d’une technologie qui l’a propulsé parmi les trois plus importants de l’est du continent (et le plus important du Canada en milieu universitaire), à la faveur d’un budget de 4,3 M$ obtenu en 2000, aucun appareil ne permet encore de voir à travers un cumulus. Et des nuages, il y en a dans le ciel en ce crépuscule estival. Le site d’Environnement Canada, sur lequel les chercheurs sont branchés en permanence dans le bâtiment, ne laisse présager rien de bon pour les prochaines heures. Dans la salle de contrôle du télescope, où des équipes de recherche de l’Université de Montréal, de l’Université Laval et bientôt de l’Université McGill passent des nuits entières, on trouve d’ailleurs une petite madone en plastique qu’un étudiant a placée là il y a quelques années. «C’est notre porte-bonheur, mentionne Pierre-Luc Lévesque, qui assiste André Nicolas dans ses recherches de doctorat. Elle est là pour chasser les nuages.» Et ça marche? Pas vraiment. Celui qui l’a déposée là espérait avoir au moins une nuit dégagée en trois semaines d’observation. Mais il n’a obtenu que trois heures en tout. Depuis, il a renoncé à l’astrophysique. Durant son déjeuner (notre souper), André-Nicolas fait un survol des grandes innovations de la physique. Féru d’histoire, il nous aide à replacer dans leur contexte les Isaac Newton, Galileo Galilei, Albert Einstein et autres. L’atmosphère est très spéciale ici: depuis le départ de la cuisinière, nous sommes les seuls à nous entretenir de l’origine du monde en feuilletant des revues d’astronomie. Plus tard, alors que la nuit semble perdue et que l’équipe de Forum se résigne à gagner les dortoirs, le physicien s’écrie, en s’emparant d’une lampe de poche: «Dégagement! On va peut-être avoir de la chance.» Rendez-vous avec une étoileChez les astronomes, la véritable journée de travail commence à 22 h et ne s’achève pas avant l’aube. Dans le cas de nos étudiants, la fébrilité est palpable, car le dégagement se confirme. Il est permis de croire que le rendez-vous avec l’étoile à l’étude (la sympathique WF 107, située à 70 millions d’années-lumière de nos épinettes) aura lieu entre 0 h et 0 h 20. Comme le temps d’exposition requis pour permettre une spectrographie est d’environ cinq minutes, chaque perturbation dans la nébulosité peut ruiner les données. Vers minuit, l’étoile est localisée par Pierre-Luc, mais l’objet céleste est situé trop près de la ligne d’horizon, ce qui empêche l’orientation informatisée. Avec habileté, l’étudiant s’apprête à suivre manuellement le déplacement de l’astre. Comme s’il était aux commandes d’un immense jeu vidéo, il actionne le levier qui fait avancer, millimètre par millimètre, le télescope pesant plusieurs tonnes. Pour lui éviter l’assèchement des pupilles pendant l’opération, André-Nicolas doit lui verser des gouttes dans les yeux. Du vrai travail d’équipe! Contrairement à la croyance populaire, les astrophysiciens ne posent presque jamais l’œil sur l’oculaire de leur télescope. Ce sont des appareils numériques, beaucoup plus sensibles que l’organe humain de la vision, qui font tout le travail. Sur les écrans, on n’aperçoit le plus souvent que des graphiques devant lesquels le profane est comme un analphabète. Or, après avoir fixé WF 107 pendant de longues minutes et attendu que l’ordinateur calcule les données, une image apparait et provoque un cri d’enthousiasme chez les chercheurs. «On a ici des pics très précis qui confirment que la cueillette a fonctionné comme il fallait. Ça va bien», explique André-Nicolas. Le jeune homme possède déjà une feuille de route impressionnante. Après avoir obtenu une maitrise sur la variabilité des vents autour des étoiles Wolf-Rayet, il s’est attaqué à une question peu étudiée jusque-là: la rotation de ce type d’étoile. Ses recherches l’ont conduit à Hawaii et au Chili, où se trouvent des télescopes beaucoup plus puissants que celui dont dispose en Estrie le Département de physique. Preuve que ses travaux ont une portée scientifique reconnue, il n’a eu aucun mal à obtenir des temps d’utilisation de trois nuits à Hawaii et de une semaine au Chili. Et la compétition internationale est féroce. Un observatoire voué aux étudesL’observatoire du Mont-Mégantic, qu’il ne faut pas confondre avec l’Astrolab, situé au pied de la montagne et ouvert au public, est destiné exclusivement aux aspirants physiciens. Avec l’aide des instruments acquis grâce à une subvention de la Fondation canadienne pour l’innovation, les chercheurs peuvent faire de l’imagerie, de la spectroscopie et de la polarimétrie. Ils disposent également d’un imageur pour l’infrarouge. «Le terrain et les bâtiments appartiennent à l’Université de Montréal, mais la gestion est commune avec l’Université Laval, indique Pierre Bastien, professeur au Département de physique et directeur de l’observatoire depuis 1997. Il est utilisé 12 mois par année, à l’exception d’une seule nuit: Noël.» À titre de directeur de la recherche, M. Bastien doit notamment gérer l’horaire d’utilisation des chercheurs. L’observatoire est entre les mains des étudiants des cycles supérieurs les trois quarts du temps. Les professeurs, chercheurs postdoctoraux et gens de l’extérieur se partagent le dernier quart. «Soyons réalistes. Avec son miroir de 1,6 m, le télescope ne peut pas permettre des découvertes majeures en astrophysique moderne. Mais il joue un rôle très utile dans la formation des étudiants», dit M. Bastien. L’Université de Montréal n’a pas eu la malchance de l’Université de Toronto, qui a construit un observatoire avec un miroir de 1,8 m en région isolée en 1935. Le problème, c’est que l’urbanisation n’a jamais cessé de gagner du terrain et cet observatoire se situe aujourd’hui en pleine banlieue de Toronto. Il est même voisin d’un centre commercial... La qualité du ciel est assurément un atout ici. Quand on scrute l’horizon au sommet du mont Mégantic, on aperçoit bien quelques lumières venant des agglomérations environnantes, mais on s’approche de la «réserve de ciel noir» qu’on veut créer avec la collaboration des élus et des résidants. Mathieu-Robert Sauvé |
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