Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numéro 3 - 12 septembre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Un médecin qui provoque des crises d’asthme!

La pneumologue Manon Labrecque s’attaque à l’asthme chez les travailleurs

Au laboratoire de Manon Labrecque, on n’y va pas par quatre chemins pour diagnostiquer l’asthme professionnel: on fait respirer des substances intoxicantes aux travailleurs! Julie Vallée procède ici à un test auprès de Mario Caron.

La pneumologue Manon Labrecque n’y va pas par quatre chemins pour diagnostiquer l’asthme professionnel: elle invite le travailleur à respirer à pleins poumons le produit allergène en cause... jusqu’au déclenchement de la crise d’asthme.
«Cela parait radical présenté ainsi, mais c’est la seule façon de démontrer scientifiquement un lien entre l’asthme et le produit allergène, explique la Dre Labrecque. Et puis, nous contrôlons minutieusement les conditions dans lesquelles l’exposition se déroule et l’expérience prend fin dès l’apparition des premiers symptômes, soit une chute de 20% du volume d’air expiré.»

Pour prouver que les travailleurs sont bel et bien affectés par les substances qu’ils respirent sur leurs lieux de travail, la chercheuse dispose d’un laboratoire unique en son genre au pays. Situé à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, il comprend deux types de générateurs (à particules et à vapeur) et deux salles d’immersion où le sujet doit entrer afin d’être mis en contact avec le produit soupçonné de lui causer des problèmes pulmonaires. On a vu des peintres pénétrer dans ces salles avec une pièce de métal, leur pinceau et leur pot de peinture dans le but de reproduire le plus fidèlement possible leurs conditions de travail. Généralement, les expositions sont répétées sur trois jours pour une durée progressive de 5 minutes, 30 minutes et 1 heure.

La Dre Labrecque participe actuellement à un programme provincial de dépistage auprès de 4000 travailleurs de l’industrie automobile (peintres et carrossiers) afin de diagnostiquer leur asthme de façon précoce et ainsi d’en limiter les séquelles. Même si cette maladie est reconnue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, elle demeure difficile à dépister. «En France et aux États-Unis, où des tests comme ceux-ci n’existent pas, les travailleurs sont souvent très atteints quand on pose enfin le diagnostic d’asthme professionnel. Il est parfois trop tard. Ici, on peut intervenir à temps.»

Le laboratoire de l’Hôpital du Sacré-Cœur est donc perçu plutôt positivement par les syndicats de travailleurs, car il permet de préserver la santé de leurs membres. «Quand un lien est établi entre une substance et un cas d’asthme professionnel, le travailleur doit être déplacé», indique Manon Labrecque. Plus de 200 travailleurs par an se succèdent dans ce laboratoire auquel sont aussi rattachés les chercheurs Jean-Luc Malo, André Cartier et Catherine Lemière.

Boulanger allergique à la farine

Au moment de la visite de Forum, Mario Caron était entre les mains de l’équipe de la Dre Labrecque. Cet employé d’une brasserie industrielle craint d’avoir développé une allergie au houblon, car l’asthme dont il souffre depuis 12 ans l’indispose de plus en plus. Mais comme il est également soudeur, ses problèmes pourraient être liés aux métaux. «Dans le générateur à particules, nous pouvons placer différentes substances telles que de la farine, des grains de céréales, de la poussière de bois, etc.», signale Julie Vallée, technicienne de laboratoire médical. À sa troisième séance, M. Caron n’avait pas encore subi sa «crise».

Les peintres en voitures et les travailleurs des scieries ne sont pas les seuls à souffrir d’asthme professionnel. Les experts ont confirmé ici plusieurs cas de boulangers allergiques à... la farine. «Toute personne exposée de façon répétitive à un produit volatil peut développer de l’asthme, fait remarquer la Dre Labrecque. Pour un artisan boulanger, cela peut devenir un problème sérieux.»

Plus de 200 produits présents sur les lieux de travail ont été désignés comme des causes potentielles d’asthme professionnel. Des maladies du travail comme l’amiantose, la bérylliose ou la silicose ont vu le jour chez des travailleurs exposés à l’amiante, au béryllium ou au silice, mais c’est maintenant l’asthme professionnel qui dépasse en fréquence les autres types de maladies pulmonaires professionnelles. Selon la littérature scientifique, de 10 à 20% des adultes qui souffrent d’asthme pourraient l’avoir contracté dans leurs milieux de travail. Des ébénistes et des menuisiers peuvent en être atteints, mais aussi des coiffeuses et même des employés du secteur de la santé, allergiques au latex contenu dans les gants stériles...

Puisque la gravité de l’asthme s’accroit avec l’exposition, il faut pour ainsi dire être présent sur les lieux de travail pour en constater les effets. «Les travailleurs les plus affectés toussent beaucoup plus en fin de journée que le matin, et les jeudis et vendredis plutôt que les lundis et mardis», rappelle la médecin qui n’hésite pas à se rendre à l’usine pour ausculter ses patients lorsque les conditions ne peuvent être reproduites dans son laboratoire de provocation bronchique.

De Val-d’Or à Montréal

Manon Labrecque a eu la «piqure» pour les maladies pulmonaires d’origine professionnelle dès le début de sa pratique médicale. Pendant cinq ans, à partir de 1992, elle a parcouru l’Abitibi à titre de pneumologue et c’est là qu’elle a pu mesurer l’ampleur des dégâts. «J’y ai constaté plusieurs cas graves de silicose, notamment, une maladie associée aux travailleurs dans les mines d’or.»

Grâce à cette expérience extraordinaire, elle a pu orienter de façon décisive sa pratique et se fixer un but: aider les travailleurs à prévenir ces maladies pulmonaires professionnelles. Au cours des sept dernières années, elle a concentré son travail au Laboratoire de provocation bronchique, ce qui ne l’a pas empêchée de faire une maitrise en administration de la santé pour le volet recherche en évaluation des programmes de santé et gestion des maladies chroniques.

L’an dernier, elle a obtenu le titre de chercheuse boursière du Fonds de la recherche en santé du Québec. Elle prépare actuellement des articles pour des travaux qu’elle mène dans ses principaux champs d’expertise: la maladie pulmonaire obstructive chronique, l’asthme et l’asthme professionnel.

Mathieu-Robert Sauvé

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