Volume 40 - numéro 3 - 12 septembre 2005 |
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La gestion participative réduit les méfaits sociauxDans les milieux économiquement faibles, presque trois fois moins d’actes d’incivilité sont observés dans les coopératives que dans les HLM
En criminologie, il est connu que, dans les groupes où la cohésion sociale et l’autocontrôle sont forts, il y a moins d’actes de violence. Ceci a été observé dans de grands ensembles comme des villes, mais n’avait jamais été analysé ni même remarqué à l’échelle microsociale d’un immeuble d’appartements. Frédéric Lemieux, professeur à l’École de criminologie, vient donc de réaliser la première étude portant sur les actes de civilité mesurés à l’échelon des habitations collectives et pense même avoir cerné le facteur déterminant des conduites délinquantes: l’autogestion. «Il y a un effet statistiquement significatif entre le mode de gouvernance et le nombre d’actes délinquants dans les différents types d’habitations en milieu socioéconomiquement faible, affirme le professeur. Les résidants des HLM rapportent en moyenne 17,6 incidents par semaine alors que les membres des coopératives sont confrontés à 6,5 méfaits pour la même période.» La gouvernancePour arriver à cette conclusion, Frédéric Lemieux a recueilli des données sur 21 types d’incivilités et de désordres rapportés par les locataires de HLM et de coopératives en milieu défavorisé. L’incivilité inclut des méfaits légers tels les graffitis, le cassage de vitres, les petits vols, le manque de courtoisie, le fait de prendre le stationnement d’un autre, les insultes, le tapage, etc. Les HLM et les coopératives se distinguent quant à elles par la gouvernance: dans les HLM d’administration publique, c’est-à-dire relevant de l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM), le seul critère d’admission est le revenu et aucune participation à la gérance ou à la vie collective n’est exigée; dans les coopératives, on demande un investissement d’environ 10 heures par mois dans des tâches de gestion (désignation des priorités, allocation des fonds, etc.) ou de maintenance (entretien du bâtiment et du terrain, ménage...). Si certaines HLM ont des comités de locataires, ces comités n’ont aucun pouvoir de décision contrairement à ceux des coopératives et ils doivent s’en remettre à l’OMHM. Selon le professeur Lemieux, ceci expliquerait la différence dans le nombre de méfaits rapportés dans les deux types d’habitations: le chercheur s’est assuré de comparer des milieux identiques et a retranché l’effet du niveau de scolarité, du nombre de logements, du nombre de résidants, du seuil de revenu, du type de famille, de l’âge, de l’appartenance ethnique et de la stabilité résidentielle. «Lorsque l’effet de tous ces facteurs est pris en considération, le genre de gestion apparait comme le facteur principal du nombre de méfaits et de désordres», signale-t-il. Ceci est également démontré par le lien entre le type de gestion et la cohésion sociale: dans les coopératives, les locataires ont exprimé un plus haut taux de cohésion, ce qui se manifeste par plus de confiance envers les autres, plus de solidarité et plus d’entraide entre voisins. Intervention informelleCette cohésion entraine non seulement moins de comportements déviants, mais plus d’autocontrôle de la part des locataires. En fait, les locataires en milieu coopératif ont plus tendance à intervenir eux-mêmes s’ils sont témoins ou victimes d’actes d’incivilité, alors que les locataires de HLM vont plutôt s’en remettre à l’autorité de l’OMHM, aux inspecteurs ou aux forces policières. «En criminologie, il est reconnu que la conjonction de la cohésion sociale et de l’intervention informelle conduit à moins d’actes de violence. C’est aussi ce que nous avons noté mais en mettant le doigt sur le facteur prépondérant, qui est l’entraide collective institutionnalisée», soutient le professeur. Ces résultats, obtenus à partir de données autorapportées, ont été corroborés par des données de source policière. Frédéric Ouellet, étudiant à la maitrise sous la direction du professeur Lemieux, a en effet analysé des rapports d’incidents rédigés par les policiers concernant les mêmes coopératives et HLM. «Ces données confirment que le niveau de désordre social est plus bas dans les coopératives», dit l’étudiant. Les deux chercheurs tiennent par ailleurs à souligner que tout n’est pas rose d’un côté et noir de l’autre: il y a des coopératives où le désordre social est plus grand que dans d’autres et des HLM où tout va bien. «Il nous reste à voir pourquoi. Peut-être que les HLM qui ont des comités de locataires fonctionnent mieux et que les coopératives où le leadership des comités de gestion est faible éprouvent plus de difficultés», indique Frédéric Lemieux à titre d’hypothèse. La recherche se poursuit de ce côté. Ces travaux ont fait l’objet d’un rapport écrit pour le compte de la Commission du droit du Canada et seront à l’origine de deux chapitres de volumes à paraitre cet hiver. Daniel Baril |
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