Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numéro 3 - 12 septembre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Sept jours sans télé, radio ni journaux

Que se passe-t-il lorsqu’un professeur de communication demande à des jeunes de se priver d’actualités? Ils sont désemparés, à tout le moins!

André H. Caron.

Peut-on imaginer se priver de télévision, de radio, d’ordinateur et d’information écrite durant une semaine? C’est le défi qu’André H. Caron lance chaque année à ses étudiants en communication. «Je leur demande de tenir un journal de bord dans lequel ils doivent noter au fil des jours leurs impressions», explique le professeur. Résultat? Ils sont très malheureux.

«Inévitablement, raconte M. Caron, lorsque je leur présente le projet Information Zéro, j’entends des lamentations dans la salle de classe. Vous savez, certains de ces jeunes sont des relais d’information. Pour discuter avec leurs amis, ils ont besoin d’être informés, de savoir ce qui se passe dans le monde. Sinon, ils perdent leur place dans leur réseau de connaissances.»

Le directeur du Groupe de recherche sur les jeunes et les médias (GRJM) et du Centre de recherche interdisciplinaire sur les technologies émergentes
(CITE) utilise cette approche bien particulière pour faire découvrir aux étudiants les grandes théories de la communication. «C’est un exercice pédagogique qui permet de faire le lien entre l’enseignement et la recherche, soutient le chercheur. Les étudiants ne reçoivent pas l’information de façon passive, ils sont engagés dans la démarche et dans les analyses.»

Après avoir recueilli pendant 15 ans les propos de milliers d’étudiants, André H. Caron constate que le rituel de consommation manque davantage aux jeunes que le contenu comme tel. Autrement dit, il est plus dérangeant de ne pas pouvoir lire son journal le matin en prenant son café que de savoir ce qui se passe sur les scènes politique et économique. Les jeunes semblent d’ailleurs plus intéressés par le côté sensationnel de la nouvelle que par le contenu réel de l’actualité. «Les étudiants accordent une certaine valeur sociale à l’information, car elle joue un rôle très important d’enracinement dans leur groupe, mais la notion d’information a beaucoup changé, estime le professeur Caron. Avant, lorsqu’on disait “information”, on pensait “actualité locale et internationale”. Maintenant, les déboires de Michael Jackson avec la justice sont aussi considérés comme de l’information...»

Mais à la fin de la semaine de sevrage, tous s’aperçoivent que l’information assume plusieurs rôles. Les lamentations font alors place à l’étonnement et, dans la classe, plus personne ne met en doute l’impact des médias sur sa vie.

Des Inuits, des cellulaires et des sous

L’idée du projet Information Zéro est venue au professeur Caron alors qu’il collectait des données pour sa thèse de doctorat auprès d’Inuits de Kuujjurapik et de Puvirnituq, dans le nord du Québec. Il n’y avait là aucun média écrit, pas plus que de radio ou de télévision. Parti justement pour observer l’introduction de la télé dans ces communautés, il y est resté plusieurs mois privé d’information. «Seul Le Devoir était livré mais avec un mois de retard, se souvient M. Caron. Sachant très bien que je lisais des informations dépassées, je continuais néanmoins à lire quotidiennement mon journal. C’est à ce moment que j’ai réalisé qu’on était vraiment accro à l’information.»

À cette époque, il n’y avait pas de cellulaires, pas de télécopieurs, aucun ordinateur dans les maisons, pas de chaine spécialisée à la télé. «Aujourd’hui, l’information circule à la vitesse grand V et les médias sont plus nombreux, souligne le professeur. Cela rend le défi encore plus difficile à relever, mais je dirais que 90% des étudiants acceptent de vivre l’expérience et tiennent le coup pendant sept jours.»

Depuis son expérience avec les Inuits, le chercheur a roulé sa bosse et a acquis une renommée en matière d’impact des technologies et des médias sur les jeunes. Ses premiers travaux sur le rapport entre les téléspectateurs et la télévision sont aujourd’hui cités comme une référence en communication. M. Caron a signé en 2003, avec Letizia Caronia, de l’Université de Bologne, un article majeur sur les habitudes des adolescents et le sans-fil dans la revue britannique Convergences. Il vient de mettre la dernière main à un ouvrage sur le sujet qui devrait paraitre sous peu aux Presses de l’Université de Montréal (Culture mobile: pratique de communication au quotidien).

Le titulaire de la Chaire Bell sur les technologies émergentes est également associé à plusieurs autres projets de recherche entrepris récemment dans le cadre des activités du CITE. Issu de l’initiative de trois départements fondateurs – le Département de communication, le Département d’informatique et de recherche opérationnelle et l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information –, le CITE rassemble plus d’une vingtaine de chercheurs autour d’une problématique commune, soit mieux comprendre les usagers et les usages des nouvelles technologies et du multimédia dans différents contextes sociétaux.

«Notre approche, axée essentiellement sur l’usager, se concentre sur l’étude des différents réseaux au cœur desquels coévoluent technologie et société», résume M. Caron, qui vient d’emménager dans de nouveaux locaux de recherche. Grâce à une subvention de 1,5 M$ de la Fondation canadienne pour l’innovation, le CITE occupe maintenant une grande partie de l’aile C du quatrième étage au pavillon Marie-Victorin.

Inutile de dire que dans ces laboratoires ultramodernes du CITE les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont des outils précieux pour le professeur Caron. «Le CITE a certainement pris le leadership en matière de multimédia», conclut-il.

Dominique Nancy

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