Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numéro 4 - 19 septembre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Les criminels choisissent leur vie… et il faut sévir

Le criminologue Maurice Cusson publie un livre-choc sur les délinquants

Criminel par choix? Maurice Cusson le croit.

L’argent, la gloire et le pouvoir. C’est ce qui attire les jeunes sur la voie de la délinquance. «À Montréal, 5% d’un échantillon représentatif des adolescents se rendent coupables de 60% des délits connus de la police», note Maurice Cusson dans La délinquance: une vie choisie, un livre qu’il vient de faire paraitre chez HMH sur ceux qu’il nomme les «délinquants suractifs».

Ces jeunes qui commettront des méfaits de plus en plus graves et de plus en plus diversifiés forment «l’armée de réserve de la grande criminalité». Mais une vie «choisie» n’est pas nécessairement une vie réussie. «Il y a un cercle vicieux qui fait en sorte que les délinquants finissent presque tous par se retrouver en prison. Ils réalisent alors que leur choix n’était peut-être pas le meilleur», dit M. Cusson, qui a lu toutes les biographies de criminels célèbres publiées depuis 20 ans.

Selon ce lauréat du Prix du Gouverneur général en 1983 pour Délinquants: pourquoi?, il ne fait pas de doute que les criminels de carrière ont consciemment décidé de se consacrer au crime à un moment de leur vie. Un choix qui comporte des avantages certains. «Les enquêtes auprès des criminels emprisonnés nous apprennent que leur salaire dépasse souvent les 50 000$ par année, exempts d’impôts, évidemment. Ils choisissent quoi? Un mode de vie excitant, un prestige auprès des pairs, une liberté qu’ils ne trouveraient pas dans le monde légal.»

Pour accéder à la richesse sans perdre trop de temps, rien de mieux que de braquer une banque ou un dépanneur. Imaginez un travail où vous n’avez que deux minutes de stress intense pour récolter un mois ou deux de salaire! Certes, la peur d’être arrêté et puni peut retenir les hésitants. Mais justement, ce risque est peu élevé en comparaison des retombées qu’un criminel peut escompter. À Montréal, à peine 1,66% des infractions commises par les jeunes délinquants ayant comparu devant un juge conduisent à une arrestation. «Ces délinquants prolifiques (nombre moyens de délits: 156) n’ont été arrêtés, en moyenne, que 2,6 fois, soit 1 fois par 60 délits», rapporte Maurice Cusson.

Servez-vous!

«Vue avec les yeux d’un voleur, peut-on lire dans La délinquance: une vie choisie, la société contemporaine apparait comme un immense réservoir de biens tentants qui ne demandent qu’à être cueillis. Dans les boutiques et les grands magasins, [les délinquants] trouvent des étalages mirifiques et mal surveillés. Dans les petits commerces, les braqueurs ne sont pas sans savoir que les caissiers sont résolus à ne leur opposer aucune résistance. Partout dans les rues et les stationnements, on trouve des voitures prêtes à partir avec le premier voleur capable de désamorcer un dispositif antivol.»

Partisan d’un système judiciaire plus sévère, Maurice Cusson estime qu’il faudrait «faire contrepoids aux séductions de la délinquance» en insistant sur le caractère répréhensible des larcins les plus banals. Plus les gains seront faciles pour les délinquants, plus ils s’en empareront sans scrupules, créant un effet d’entrainement sur leurs émules. «Oui, nous devons voir à verrouiller nos portes, lance-t-il. Si l’on offre des occasions aux délinquants, ils vont les saisir.»

De leur côté, les policiers pourraient davantage déployer leurs efforts autour des endroits où se concentre la délinquance en milieu urbain (les hot spots). Ils peuvent augmenter la cadence des opérations «coups de poing» contre le crime organisé.

Ceci dit, la carrière de criminel suractif ne dure pas longtemps. «Après 10 ou 15 ans, la plupart ont décidé de “raccrocher”. Ils disent vouloir se marier, rompre avec les anciennes influences.» C’est donc la preuve que leur vie «choisie» comporte des désavantages majeurs...

Que faire?

Maurice Cusson ne se range pas derrière les abolitionnistes, qui prétendent que la prison engendre plus de problèmes qu’elle n’en résout. «Pourquoi recourir à ce moyen si couteux et si dur? Inutile d’aller chercher bien loin, écrit le criminologue dans sa conclusion. Elle parait indispensable comme rempart ultime contre les crimes graves et les délinquants suractifs. Pouvons-nous sérieusement laisser en liberté les braqueurs, violeurs, meurtriers et malfaiteurs invétérés? En les incarcérant, le juge contribue à la justice et à la sécurité.»

La question pénale est très symbolique de notre époque, croit Maurice Cusson. Les parents n’aiment pas punir leurs enfants, rappelle-t-il. Plusieurs voudraient éviter les punitions autant que possible, sinon les bannir complètement, afin que l’apprentissage se déroule en douceur à chaque étape de la vie. Il se donne lui-même en exemple. Enfant turbulent et dissipé, il était un écolier médiocre... jusqu’au moment où ses parents l’ont envoyé dans un pensionnat où régnait la ligne dure. Cela lui a mis du plomb dans la tête au point où il est devenu professeur.

Le criminologue est conscient de brasser des idées, voire de susciter la controverse avec ce livre qui propose une redéfinition du délinquant, c’est-à-dire un individu relativement conscient des choix qu’il fait pour sa propre vie.

Mathieu-Robert Sauvé

Maurice Cusson, La délinquance: une vie choisie, Montréal, HMH, 2005, 228 p.

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