Volume 40 - numéro 4 - 19 septembre 2005 |
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Perturbateur à la maternelle, décrocheur au secondaire20 ans d’observation sur 4000 jeunes le confirment: l’hyperactivité et l’agressivité mènent au décrochage
Les enfants agressifs et hyperactifs à la garderie et à la maternelle courent jusqu’à quatre fois plus de risques que les autres enfants d’abandonner l’école avant l’obtention de leur diplôme d’études secondaires. C’est une des conclusions de Frank Vitaro, professeur à l’École de psychoéducation et chercheur au sein du Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant, au terme d’une étude qu’il mène depuis 20 ans auprès de milliers de garçons et filles de toutes les régions du Québec. Rencontrés pour la première fois à l’âge de six ans, dans les années 80, et retrouvés 15 ans plus tard, un groupe de 4330 sujets de recherche ont permis d’établir un lien scientifique entre la réussite scolaire à l’âge adulte et les comportements d’agressivité et d’hyperactivité dans la petite enfance. «Avec la collaboration du ministère de l’Éducation, explique le professeur et chercheur, nous avons pu connaitre le parcours scolaire des enfants qui avaient des comportements perturbateurs en bas âge. Plus de la moitié d’entre eux n’avaient pas terminé leurs études secondaires 15 ans plus tard. Le risque de ne pas obtenir de diplôme à cause de comportements perturbateurs est légèrement supérieur au risque habituellement associé à la pauvreté. Or, le premier risque est jusqu’à un certain point modifiable grâce à des interventions préventives précoces», signale M. Vitaro. C’est en questionnant les éducatrices à la maternelle que le chercheur a pu évaluer le caractère «agressif» ou «hyperactif» des enfants. Sur une échelle de 0 à 2, elles devaient noter six comportements d’hyperactivité et d’inattention («bouge», «se tortille», «ne reste pas en place», «arrive mal à se concentrer», etc.) et huit comportements d’agressivité et d’opposition («se bat», «intimide les autres enfants», «fait usage de force physique», «désobéit»…). Ce sont ces jeunes qu’on a retrouvés à 20 ans. Résultat: parmi ceux dont les cotes d’hyperactivité-inattention et d’agressivité-opposition étaient élevées, 57,3% n’avaient toujours pas obtenu leur diplôme d’études secondaires. Par comparaison, 17,7% des enfants dont les cotes correspondantes étaient peu élevées se trouvaient dans la même situation. Normalement, un élève obtient ce diplôme à 17 ans, après 11 ans de scolarité. Comme dans d’autres études, le taux global de non-diplomation pour l’ensemble de l’échantillon se situe à 34,5%. Lorsque les facteurs habituellement associés aux comportements perturbateurs sont pris en compte dans une analyse multivariée (c’est-à-dire les caractéristiques du milieu sociofamilial, le sexe de l’enfant, les pratiques éducatives des parents et des enseignants), on remarque que le risque de ne pas obtenir de diplôme demeure beaucoup plus grand pour les enfants perturbateurs que pour les non-perturbateurs. Le rapport de risque, selon le vocabulaire savant, atteint alors 4,3; cela signifie qu’un enfant perturbateur court 4,3 fois plus de risques d’être sans diplôme d’études secondaires à 20 ans. Grâce à cette recherche longitudinale, dont les résultats vont paraitre dans le Journal of Educational Psychology, on connait mieux les facteurs qui prédisposent les jeunes à quitter l’école avant même qu’ils commencent leur scolarité. Ces «indicateurs de risque», d’après l’expression de M. Vitaro, sont observables dès la maternelle et probablement avant dans les centres de la petite enfance. Leur effet est cumulatif. «Un enfant issu d’un milieu socioéconomique difficile, qui manifeste des comportements d’agressivité et d’inattention, qui a peu d’amis et qui subit des pratiques parentales discutables court de 12 à 15 fois plus de risques d’abandonner l’école secondaire avant l’âge de 20 ans», déplore-t-il. De l’espoirCeci dit, une famille «à risque» (revenu modeste, faible scolarité des parents) n’est pas condamnée à voir ses enfants quitter l’école avant l’obtention de leur diplôme. Mais elle doit être présente auprès d’eux et valoriser les études. «Le fait d’avoir des parents qui ont du plaisir avec leur enfant et qui exercent une certaine discipline réduit le risque de le voir privé de diplôme à 20 ans», écrit l’auteur qui a travaillé en collaboration avec Richard Tremblay, directeur du Centre d’excellence sur le développement du jeune enfant et professeur à l’UdeM, Mara Brendgen, de l’UQAM, et Simon Larose, de l’Université Laval. La méthodologie comprenait également une évaluation des méthodes d’enseignement à la maternelle. Mais selon Frank Vitaro, celles-ci ne sont pas aussi déterminantes que l’environnement parental. «Il ne faut pas blâmer l’école pour les résultats médiocres des enfants, souligne M. Vitaro. Tout commence à la maison. On sait que des parents qui font preuve d’une certaine autorité du style “une main de fer dans un gant de velours” favorisent la réussite scolaire de leurs enfants. À l’inverse, une famille où règne un haut niveau de stress et d’inconstance ne pourra susciter de bonnes conditions d’apprentissage.» Il faut toutefois reconnaitre, selon lui, que l’école parvient difficilement à rectifier les trajectoires de risque qui se profilent à l’horizon lorsque les enfants se présentent à la maternelle. Cela ne veut pas dire que les intervenants du milieu scolaire ne peuvent pas contribuer de manière significative à la persévérance dans les études. «Mais ils doivent employer des stratégies qui ont fait leurs preuves.» Des indicateurs fiablesQue faire? «À mon avis, il faut s’intéresser au risque d’exclusion sociale dont les enfants qui présentent des troubles du comportement font souvent les frais. Le rejet par les pairs éloigne les enfants en difficulté d’une source importante de socialisation positive, en plus d’exacerber leurs difficultés et de renforcer une vision négative de l’école comme milieu de vie. Il faut apprendre à utiliser le pouvoir positif qu’exercent sur eux les camarades de classe. Il faut aussi éviter que les enfants perturbateurs prennent du retard dans les apprentissages scolaires, ce qui risque de survenir très tôt précisément à cause de leurs difficultés comportementales. Les stagiaires des universités ainsi que les parents peuvent ici être mis à contribution.» Le chercheur a décidé de mettre ses idées à l’épreuve. Avec l’aide de chercheurs des universités du Québec à Montréal et de Sherbrooke, Frank Vitaro expérimente un programme de prévention dans plusieurs écoles de la Commission scolaire de Laval, où des enfants hyperactifs et agressifs ont été ciblés. «Nous avons une très bonne collaboration avec le CLSC local et la commission scolaire, affirme-t-il. L’intervention consiste en une série d’ateliers, des rencontres à domicile avec les parents, la mise en œuvre de stratégies de gestion de classe et des approches personnalisées pour l’apprentissage de la lecture et des mathématiques. Figure aussi au programme une intervention auprès des camarades de classe. Les psychoéducatrices et les enseignants de la maternelle et de la première année qui y participent ont été formidables tout au long des trois dernières années pendant lesquelles le programme a pu être mis en place dans le quotidien des enfants sans déroger aux impératifs d’ordre méthodologique nécessaires à toute entreprise d’évaluation rigoureuse.» M. Vitaro et ses collègues espèrent que ces interventions axées sur les aspects sociaux, familiaux et scolaires essentiels au développement des enfants permettront à l’école de devenir un endroit stimulant et créatif pour les jeunes prédisposés à décrocher avant l’obtention de leur diplôme d’études secondaires, tout autant que pour les autres. Le premier défi au cours des prochaines années sera d’observer les effets des programmes de prévention sur ces enfants et d’en évaluer l’impact à long terme. Le second sera d’entreprendre l’examen des facteurs qui peuvent influer, dès la naissance, sur les profils de risque désignés à la maternelle dans la présente étude ainsi que des mécanismes sous-jacents à leur évolution dans le temps. Mathieu-Robert Sauvé |
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