Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 5 - 26 septembre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Qualité du français : le Québec n’a rien à envier à la France

Marie-Éva de Villers brosse un tableau positif du français au Québec

La thèse de Marie-Éva de Villers paraitra sous peu sous la forme d’un essai.

Qu’ont en commun les mots «pourvoirie», «dépanneur», «polyvalente», «motoneige» et «aluminerie»? Ce sont des québécismes de création, soit des vocables que les Québécois se sont donnés afin de nommer leurs réalités. Vous pouvez les lire dans Le Devoir mais pas dans Le Monde.

En fait, sur le plan du dynamisme, le français des Québécois n’a rien à envier à celui des Français. Tel est le constat qui se dégage d’une étude comparative de doctorat de Marie-Éva de Villers. L’auteure du Multidictionnaire de la langue française (Québec Amérique) a en effet scruté les 25 000 articles du quotidien Le Devoir et les 52 405 du quotidien Le Monde publiés pendant l’année 1997. Que de mots: 13 millions pour Le Devoir et 24 millions pour Le Monde! Une fois éliminées les répétitions, il est resté 25 000 mots dans l’un ou l’autre quotidien.

L’attention de Mme de Villers s’est notamment portée sur les québécismes, c’est-à-dire des mots venus de France et qui ont disparu dans ce pays («achalandage», «avant-midi», «écornifler»), des mots empruntés à d’autres langues («atoca», «achigan») ou des mots créés ici pour nommer des réalités qui nous sont propres ou des réalités nouvelles ou encore pour éviter un emprunt à l’anglais («acériculture», «courriel», «téléavertisseur»). Or, cette dernière catégorie est la plus importante, représentant 68% de tous les québécismes relevés exclusivement dans Le Devoir.

«L’innovation constitue le principal facteur de différenciation des vocabulaires des quotidiens québécois et français et témoigne d’une créativité lexicale qui puise fondamentalement aux sources du français», écrit Mme de Villers. Se trouve ainsi clairement démontrée «la volonté inébranlable, depuis la conquête anglaise, de ne pas démissionner devant le raz-de-marée anglo-saxon».

Il reste que les recoupements entre les vocabulaires français et québécois sont considérables: 77% des mots, et davantage si l’on élimine les formes suffixées telles «bouchardiste», «eurocrate» et «haussmanien».

La diplômée a elle-même été surprise, car «j’aurais pensé qu’il y aurait eu une plus grande richesse de mots dans Le Monde». Or, «le vocabulaire du quotidien français n’est pas plus étendu». En revanche, elle n’a pas été étonnée de la vitalité linguistique québécoise; en effet, «les discours passéistes et pessimistes sur la langue étaient contraires à tout ce que je percevais intuitivement».

La thèse de Mme de Villers paraitra le 28 septembre sous la forme d’un essai chez Québec Amérique. L’ouvrage s’intitule Le vif désir de durer: illustration de la norme réelle du français québécois. Son titre évoque un recueil de poèmes que Paul Éluard a dédié à sa femme: Le dur désir de durer. L’essai est écrit dans un style que l’auteure souhaite accessible à tous ceux que la question linguistique intéresse, pas uniquement aux spécialistes.

Précision et finesse

Monique Cormier, professeure au Département de linguistique et de traduction (Faculté des arts et des sciences), a dirigé la thèse de la doctorante. Elle salue «la précision et la finesse incomparables» avec lesquelles la recherche a été menée. Celle-ci a permis de démontrer que «la norme qui est présente dans la lexicographie québécoise ne correspond pas à la norme réelle qui se dégage de l’analyse de son corpus», commente Mme Cormier.

Pour Mme de Villers, un tel projet doit être nourri de beaucoup de passion. Et ce sentiment, elle le doit à son père, qui lui a communiqué son amour des dictionnaires. «C’est mon père qui a planté le gland, dit avec émotion la lexicographe réputée. Lorsque j’avais six ou sept ans, il m’a offert un dictionnaire Larousse en images. Je l’ai gardé longtemps sur ma table de chevet. Je me suis mise à adorer les dictionnaires. Mon père m’en achetait souvent.»

Après des études en lettres, grammaire et philologie, elle entre à l’Office québécois de la langue française, où elle travaille sur la terminologie de la gestion. Au cours de colloques, elle rencontre de grands linguistes et sa passion pour les mots s’affermit. Dix ans plus tard, elle décide de faire une maitrise en marketing à HEC Montréal. Elle a tellement aimé cet environnement qu’elle y reviendra en 1990 pour mettre en œuvre la politique linguistique de l’école de gestion. Aujourd’hui, elle y dirige une équipe qui assure la qualité de la langue et l’enseignement du français, de l’anglais et de l’espagnol des affaires.

L’experte occupe évidemment un poste de choix pour observer la langue des étudiants… et des professeurs! «J’en ai assez d’entendre dire que la langue se dégrade.» Mme de Villers examine les résultats des tests de connaissance du français que les 12 000 étudiants de HEC Montréal passent annuellement. Son verdict? «Tous ceux qui sont en contact avec les étudiants constatent un progrès. Et une proportion plus grande de la population maitrise la langue standard et peut choisir différents niveaux de langage», souligne-t-elle.

Pourquoi Le Devoir?

L’ouvrage tiré de la thèse comprend une foule d’informations pour qui s’intéresse à l’état de notre langue. Le choix du Devoir et du Monde comme objets d’étude comparative s’explique par la similitude du profil de leur lectorat. Les lecteurs des deux journaux sont très majoritairement titulaires d’un diplôme universitaire et occupent un emploi qui leur assure un revenu supérieur. Et ils participent à la vie culturelle. Mais, diront certains, peut-on généraliser l’état d’une langue à partir de quotidiens et, pour le Québec, d’un quotidien à tirage modeste? Oui, répond l’auteure sans hésiter. «L’analyse constitue une indication fiable de l’utilisation publique de la langue française au Québec.» Les usages lexicaux répertoriés dans le journal forment incontestablement une composante importante de la norme réelle du français québécois.

Les journalistes, constate Mme de Villers, ne sont pas seulement des amplificateurs de l’usage; ils servent de modèles, qu’ils le veuillent ou non. Bien entendu, de nouveaux mots ou expressions se sont ajoutés depuis que Mme de Villers a terminé son travail. Qu’on pense à «clavardage», «pourriel», «commerce équitable», «développement durable», etc. Ce n’est cependant pas ici, mais en France, que s’est produit le changement le plus notable, lorsque la presse française a entrepris de féminiser les titres de fonctions, pratique déjà bien implantée en 1997 dans les médias québécois.

La liste des mots a été constituée grâce au logiciel Nomino, de la société Nomino Technologies, avec la collaboration d’Éfoé Wallace, linguiste informaticien. Le logiciel permet la recherche d’informations textuelles.

Paule des Rivières

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