Volume 40 - numÉro 5 - 26 septembre 2005 |
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Une étude unique sur les jumeauxLes jumeaux nous permettent de départager la part de génétique et la part de l'environnement dans le comportementDepuis 1997, l’Université de Montréal est l’hôte de l’une des plus importantes études longitudinales du monde sur les jumeaux. Cette étude est unique à plusieurs égards: le nombre de participants, soit 1344 jumeaux, l’étendue dans le temps – huit ans à ce jour –, le nombre de facteurs comportementaux considérés et la variété des outils utilisés, qui vont de l’observation directe à l’imagerie cérébrale. Ce vaste projet, connu sous le nom d’Étude des jumeaux nouveau-nés du Québec (EJNQ) et qui a déjà reçu quelque sept millions en subvention, est dirigé par Daniel Pérusse, professeur au Département d’anthropologie et chercheur au Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant. Les travaux se déroulent au Centre de recherche de l’Hôpital Sainte-Justine, un centre soutenu par le Fonds de la recherche en santé du Québec. Il a fallu deux ans au chercheur pour constituer son échantillon, ce qui semble relativement court étant donné la particularité de la population concernée et l’engagement à long terme que nécessite une telle étude. Précisons que les naissances de jumeaux représentent au Québec un pour cent des naissances d’enfants vivants, soit 1000 cas par année. «L’intérêt de faire appel à des jumeaux pour des recherches sur le comportement ne tient pas au fait qu’ils auraient des attitudes particulières, précise Daniel Pérusse. Les jumeaux nous permettent plutôt de départager la part de la génétique et celle de l’environnement dans le comportement.» Batterie de testsChaque année depuis l’âge de cinq mois, les jumeaux de l’étude ont été soumis à diverses évaluations portant sur des problèmes comportementaux intériorisés comme l’anxiété et la dépression et sur des problèmes extériorisés comme l’agressivité, l’hyperactivité et les troubles de l’attention. Tout un éventail de méthodes sont employées: observations directes des enfants et des interactions entre eux et leurs parents; mesures électrophysiologiques de la réactivité du système nerveux autonome; entrevues avec les parents, les éducateurs des garderies, les enseignants, les enfants eux-mêmes et leurs camarades. Ceux qui dans la cohorte sont maintenant âgés de huit ans sont l’objet d’observations en imagerie par résonance magnétique (IRM). On a procédé sur eux et sur leurs parents biologiques à des prélèvements de cellules sanguines afin d’établir éventuellement leur profil génétique. Héritabilité de l’agressivitéPour déterminer la part des gènes et celle de l’apprentissage dans les comportements, les chercheurs recourent à des outils de modélisation comparant la différence entre le degré de ressemblance observé chez des jumeaux identiques et des jumeaux non identiques. Le modèle est bâti sur le fait que les vrais jumeaux partagent 100% de leurs gènes et que les non-identiques n’en partagent que 50% (comme de simples frères ou sœurs). Cette approche ne permet pas de découvrir des gènes mais plutôt de mesurer la part des effets génétiques dans la variation comportementale. Ces influences génétiques déterminent l’héritabilité. Le système de modélisation permet par ailleurs de distinguer l’effet de l’environnement familial partagé par les jumeaux et l’effet d’un environnement non partagé et unique à chacun. Dans l’EJNQ, ce modèle a notamment été appliqué aux observations relatives à l’agressivité physique et à l’agressivité sociale (verbale, manipulatrice, diffamatoire). Dans le premier cas, l’héritabilité se situe entre 50 et 60%, le reste étant attribué à des facteurs environnementaux non partagés. Pour l’agressivité sociale, l’héritabilité n’est cependant que de 20% alors qu’environ 60% seraient dus à l’environnement non partagé. Ces résultats, publiés dans le numéro d’aout de la revue Child Development, montrent pour la première fois que l’agressivité sociale, contrairement à l’agressivité physique, relève moins de facteurs génétiques que de facteurs environnementaux. Ce genre d’étude ne permet habituellement pas de cerner les facteurs environnementaux en cause. L’EJNQ est toutefois l’une des rares recherches dans le monde à recueillir tout un ensemble de données – comme les maladies de la mère pendant la grossesse, sa consommation d’alcool, de tabac et de médicaments, le profil familial, les conditions d’allaitement, les pratiques éducatives des parents, la scolarisation – grâce auxquelles il sera possible de préciser ce que de tels travaux considèrent comme des «variables latentes». IRM et dépressionQuant aux données de l’imagerie cérébrale, elles permettront de contourner le problème que pose l’action combinée de nombreux gènes dans le comportement. «Les comportements comme l’agressivité sont multifactoriels et la part d’héritabilité repose sur plusieurs gènes, explique Daniel Pérusse. De plus, beaucoup des gènes en cause existent sous plusieurs formes ou allèles. Il est donc difficile d’associer un comportement donné à un génotype précis.» Les chercheurs doivent par conséquent recourir à l’observation de phénomènes sous-jacents au comportement étudié et susceptibles d’être plus facilement associés à des gènes précis. L’IRM leur permet de le faire par l’observation de la structure et de l’activation des réseaux neuronaux liés, dans ce cas-ci, à la dépression ou à l’agressivité. Ces travaux ont déjà donné des résultats qualifiés de fascinants. Chez des enfants de huit ans considérés comme à risque de dépression, l’IRM fonctionnelle a révélé une activation neuronale moindre dans une zone de régulation de la tristesse. Ce qui veut dire que des traits de la personnalité dépressive sont déjà observables dans le cerveau de jeunes enfants de moins de 10 ans. «Cette observation chez des sujets sans médication et qui sont au début de leur développement est une première mondiale», affirme le chercheur, qui espère publier ces résultats sous peu dans une revue de prestige. Outre Daniel Pérusse, l’équipe de l’EJNQ comprend entre autres Frank Vitaro, Richard Tremblay, Guy Rouleau, Mario Beauregard et Alain Girard, tous de l’UdeM, ainsi que Ginette Dionne et Michel Boivin de l’Université Laval, Mara Brendgen de l’UQAM et Alan Evans de l’Université McGill. Daniel Baril |
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