Volume 40 - numÉro 6 - 3 octobre 2005 |
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capsule scienceFaut-il fluorer l’eau de consommation?
Faut-il ajouter du fluor à l’eau potable de la ville de Montréal, comme le recommande l’aspirant maire Pierre Bourque? «Sans aucun doute», répond Jean-Marc Brodeur, professeur de médecine sociale et préventive, dentiste et spécialiste des politiques de santé publique. À son avis, la fluoration de l’eau est une excellente méthode de prévention de la carie dentaire, ne coute pas cher et ne présente «aucun inconvénient» pour la santé de l’homme. Selon l’Ordre des dentistes du Québec, seulement 9% des Québécois ont accès à l’eau fluorée municipale contre 75% des Ontariens et 62% des Américains. Depuis la première expérience de fluoration de l’eau potable, à Grand Rapids, au Michigan, en 1945, des populations entières des États-Unis ont été exposées quotidiennement à de l’eau fluorée sans qu’aucune conséquence négative sur leur santé ne soit mesurée scientifiquement. «Vous savez, le fluor est présent dans l’eau dans des proportions variables. Il s’agit d’en hausser légèrement la teneur dans les aqueducs municipaux», rappelle le Dr Brodeur, qui s’intéresse à ce «vieux débat» depuis 25 ans.
C’est d’ailleurs grâce à la variation naturelle du minéral qu’on a compris que le fluorure de calcium avait un effet sur les corps durs de l’organisme humain (os, dents, cartilage). Dans les villes où l’eau était naturellement fluorée, les habitants avaient moins de caries qu’ailleurs. Au Québec, de façon générale, l’eau est naturellement pauvre en fluor. Selon une enquête menée en 1999 par le ministère de la Santé et des Services sociaux, le taux de caries dentaires des enfants de Québec, dont l’eau est fluorée depuis 1972, est de 30 à 40% moins élevé que dans les autres secteurs de la ville où l’eau n’est pas fluorée. Un débat passionné fait rage actuellement dans la Vieille Capitale à ce sujet. Il existe d’autres sources «artificielles» de fluor que l’eau potable: dentifrices, comprimés à croquer, rince-bouches. Selon l’Encyclopédie médicale de la famille, c’est pendant la formation des dents que le fluor est le plus efficace. «Plus de 65% des enfants qui boivent de l’eau fluorée depuis leur enfance ont moins de caries et 90% d’entre eux ne subissent pour ainsi dire pas d’extractions dentaires au cours de leur enfance», peut-on lire. Mais le fluor est aussi une substance toxique qui peut se révéler mortelle pour l’être humain si elle est ingérée en grandes quantités. C’est cette toxicité qui a nui aux défenseurs de la fluoration de l’eau montréalaise il y a 10 ans. Les opposants craignaient la dissémination de ce produit dans l’environnement. Mais les concentrations suggérées par les organismes de santé publique sont tellement infimes (une partie par million) qu’elles n’inquiètent pas les épidémiologistes. «Malgré toute la controverse qui a entouré les programmes de fluoration, il n’a jamais été démontré qu’une eau fluorée au taux recommandé provoquait des effets nocifs quelconques», dit l’Encyclopédie dont le contenu a été approuvé par l’Association médicale canadienne. Jean-Marc Brodeur tient toutefois à préciser que la santé dentaire des Québécois s’est beaucoup améliorée depuis les années 70. Alors que les adolescents avaient neuf dents cariées à l’âge de 14 ans en 1977, ils n’en ont plus que trois en 1997. «Le nombre de dents atteintes par la carie ne cesse de décroitre depuis 1970. Une diminution attribuable à différents facteurs, dont l’ajout de fluor dans les dentifrices. Mais c’est certainement la gratuité des soins dentaires pour les enfants qui a eu le plus gros impact sur la baisse du nombre d’extractions dentaires», indique-t-il. Dans les milieux socioéconomiques défavorisés, la visite annuelle chez le dentiste pouvait représenter une dépense injustifiée. Résultat: en moyenne, en 1977, on pouvait compter dans la bouche de nos jeunes 5 caries non traitées, 2,4 dents obturées et... 1,6 dent absente. L’extraction des dents cariées était alors monnaie courante, et ce, dès l’enfance. Actuellement, les soins dentaires sont gratuits pour les enfants de 0 à 10 ans. Mais tout ne va toutefois pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Avec trois dents cariées, les jeunes Québécois sont encore bien au-dessus de la moyenne nord-américaine. «La fluoration de l’eau permettrait de diminuer la carie du tiers et d’atteindre la moyenne de l’Ontario», insiste le spécialiste. C’est toujours chez les plus pauvres que le nombre de caries est le plus élevé. Ils se brossent moins souvent les dents et sont par conséquent moins en contact avec les dentifrices fluorés. Ce sont donc eux qui bénéficieraient le plus de la fluoration de l’eau. «Les opposants à la fluoration prétendent qu’ils n’ont qu’à se brosser les dents davantage. C’est comme si l’on disait que les personnes susceptibles de souffrir de maladies transmises sexuellement ne constituent pas un problème de santé publique et n’ont qu’à mieux se protéger», défend le dentiste. Mathieu-Robert Sauvé |
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