Volume 40 - numÉro 6 - 3 octobre 2005 |
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Les infrarouges pour débusquer la marijuanaKarim Benyekhlef compare les jugements canadien et américain
Pour épingler les trafiquants de marijuana, les enquêteurs canadiens peuvent utiliser sans mandat de perquisition un système de détection à l’infrarouge qui leur permet d’obtenir de l’information à distance, au travers des murs des habitations. En vertu d’un jugement unanime, la Cour suprême a autorisé cette pratique en octobre 2004. Pourtant, la Cour suprême des États-Unis la considère comme inconstitutionnelle en vertu de principes liés à la protection de la vie privée. Rappelons que les appareils d’imagerie à l’infrarouge, fixés sous des avions survolant des quartiers suspects ou placés devant la façade d’une maison, détectent les sources de chaleur intense même si celles-ci sont situées sous la toiture ou derrière les murs. Comme la culture en serre de cannabis requiert de puissantes lumières incandescentes, il est possible d’apporter un élément de preuve supplémentaire lorsque des policiers soupçonnent un propriétaire de cacher des cultures illégales. «C’est une situation assez inhabituelle, signale Karim Benyekhlef, professeur à la Faculté de droit et chercheur spécialisé en matière d’impacts des nouvelles technologies. Les Américains, reconnus pour le pouvoir qu’ils donnent aux forces policières, refusent que leurs enquêteurs recourent à l’infrarouge, alors que les Canadiens, de tradition moins répressifs, leur accordent ce droit sans limite. Dans l’arrêt qui l’officialise («R. c. Tessling»), les sept juges étaient unanimes sur la question.» Pour le juriste, l’arrêt rendu l’automne dernier ébranle une valeur jusque-là cardinale dans le droit canadien voulant que la maison de chacun soit «son château et sa forteresse». Avec la légalisation de l’infrarouge, ce château commence à se lézarder sérieusement. Jusqu’où ira-t-on?Walter Tessling, de Windsor, en Ontario, est le plus célèbre Canadien à avoir fait les frais de cette technologie révolutionnaire. En avril 1999, l’infrarouge avait permis de suspecter M. Tessling de cultiver illégalement chez lui du cannabis. Grâce à cette information parmi d’autres, la GRC avait pu obtenir un mandat de perquisition contre lui. Dans son habitation, on avait saisi une importante quantité de marijuana, du matériel de trafic de drogue et des armes à feu. Par la suite, l’accusé a contesté l’usage de la nouvelle technologie en déclarant qu’il s’agissait d’une intrusion flagrante dans sa vie privée. Il a eu gain de cause en cour d’appel, où une juge a considéré la méthode d’enquête digne du roman 1984, de George Orwell, où l’État surveille ses concitoyens par tous les moyens possibles. L’étudiant en droit Laurent Hétu, qui a rédigé une excellente synthèse de la question dans la revue Dire, rappelle que la Cour suprême du Canada estime que la chaleur qui émane d’une habitation constitue une information pertinente sur un lieu, non sur une personne. D’ailleurs, actuellement, les enquêteurs ne peuvent se limiter aux images obtenues par infrarouge pour incriminer des trafiquants de drogue. Comme l’écrit M. Hétu, «on ne peut différencier une émanation de chaleur produite par un “jacuzzi” d’une émanation produite par des lampes servant à la culture de la marijuana». Tout au plus peut-on se servir de ces images pour renforcer une preuve déjà bien étayée. Pour Karim Benyekhlef, toutefois, le précédent que ce jugement crée est préoccupant. «Jusqu’à maintenant, seul ce que l’œil voyait autour d’une habitation était de nature publique. Avec l’arrêt Tessling, on étend le regard bien au-delà. Jusqu’où cela nous mènera-t-il?» Mathieu-Robert Sauvé |
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