Volume 40 - numÉro 7 - 11 octobre 2005 |
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À São Tomé, entre chasse et coup d’ÉtatLes travaux d’écologie appliquée de Mireia Boya servent de fondement à la politique environnementale de São Tomé
Plusieurs étudiants de l’Université de Montréal réalisent des enquêtes de terrain à l’étranger, mais Mireia Boya est sans doute la seule à en avoir fait une sur une petite ile volcanique perdue au large de l’Afrique. D’une superficie à peine plus grande que celle de l’ile de Montréal, São Tomé est une des deux principales iles qui forment l’État africain de São Tomé et Príncipe, situé directement sur la ligne de l’équateur, à 150 km de la côte africaine. «On y trouve une grande variété d’écosystèmes, dont une forêt tropicale d’origine, des savanes, des plantations, des terres volcaniques et bien sûr des plages», souligne l’étudiante au doctorat à l’École d’architecture de paysage. Originaire d’Espagne, Mireia Boya bénéficie de l’une des plus prestigieuses bourses de son pays, soit la bourse de la Fondation La Caixa, en plus d’avoir reçu une des 10 bourses du Conseil international d’études canadiennes pour venir étudier à l’UdeM. Elle avait auparavant obtenu une bourse de l’Agence universitaire de la Francophonie pour sa recherche de maitrise. Ses voyages outre-mer ne l’empêchent pas d’occuper le poste de présidente de l’Association des étudiantes et étudiants de doctorat en aménagement et d’être assistante d’enseignement. La chasse à la colombePossédant une formation en science de l’environnement, Mireia Boya s’est toujours intéressée à la biodiversité et à la conservation. C’est d’ailleurs cet aspect qui l’a amenée sur le campus puisqu’elle voulait faire de la recherche appliquée en aménagement écologique. Mais pourquoi un petit caillou rocheux perdu dans l’Atlantique? «C’est mon directeur, Robert Kasisi, qui, au retour d’un voyage à São Tomé, a éveillé mon intérêt pour cette ile, répond-elle. Le ministère de l’Environnement santoméen désirait mener des études d’impact sur les activités de chasse afin de préparer une politique de conservation de la nature.» São Tomé est une ile très pauvre où les 140 000 habitants vivent de chasse, de pêche et du produit de quelques plantations de canne à sucre, bananiers et cacao. Le gros gibier étant absent, on y chasse surtout les oiseaux, le sanglier, la tortue, le singe et la chauve-souris. «Certains oiseaux, comme la colombe, le pigeon et la tourterelle de São Tomé, sont des espèces endémiques de l’ile et sont menacés de disparition parce qu’ils sont l’objet d’une chasse abusive», signale l’étudiante. Le pays ne possédait aucune politique de conservation et Mireia Boya y a vu une occasion rêvée de recherche appliquée. Le projet de politique devait désigner des zones protégées, établir des quotas et des périodes pour la chasse ainsi que déterminer si des espèces devaient être protégées. «La limitation des activités de chasse risque de causer des conflits parce que les gens ont besoin de cet apport de nourriture, indique la chercheuse. Pour qu’une telle politique réussisse, il faut parler le même langage que les populations locales, c’est-à-dire connaitre leurs coutumes et leurs rapports avec la nature, leurs visions, croyances et savoirs traditionnels afin d’intégrer ces éléments dans les mesures de protection. Les expériences ont montré ailleurs que les politiques de conservation ne fonctionnent pas si l’on ne tient pas compte des besoins de la population.» Les insulaires sont de religion chrétienne, mais leurs croyances sont fortement teintées d’animisme. «Ils ont une forêt sacrée et ne chassent pas l’aigle ni le faucon parce que ces oiseaux leur inspirent le respect, relate l’étudiante. Ils font aussi un usage médicinal de certaines plantes. Une stratégie de gestion intégrée de la biodiversité doit prendre en considération ces traditions ancestrales.» Son approche a donc tenu davantage de l’anthropologie et de la sociologie que du décompte biologique des espèces. Privilégiant le contact avec la population, elle a rencontré, pendant quatre mois, les chasseurs pour en apprendre plus sur leurs habitudes et leurs zones de chasse et savoir ce qui est important à leurs yeux. «Les gens se sont montrés très réceptifs et comprennent la nécessité de protéger l’environnement, d’autant plus qu’ils en tirent leur subsistance et qu’ils constatent la diminution du nombre d’oiseaux.» Son rapport de recherche a été remis au ministre de l’Environnement, qui s’en est inspiré pour élaborer sa politique sur la chasse. Pétrole et coup d’ÉtatSi São Tomé et Príncipe est un pays aussi pauvre que minuscule, il pourrait rejoindre bientôt les rangs des pays riches; on y a en effet découvert du pétrole. Ceci a même conduit à un coup d’État d’opérette à l’été 2003, pendant que Mireia Boya y séjournait pour sa recherche. «Les militaires ont séquestré les parlementaires pendant une semaine, exigeant une loi sur la transparence des revenus du pétrole. Ils ont constaté la corruption que l’exploitation pétrolière a entrainée ailleurs en Afrique et ils ont voulu éviter que ce scénario se produise chez eux. Il n’y a pas eu d’effusion de sang, mais nous étions tous très inquiets parce qu’au même moment des combats faisaient rage au Liberia.» Les militaires ont finalement obtenu ce qu’ils réclamaient et ont remis le pouvoir aux autorités civiles légitimement élues. São Tomé étant une ancienne colonie portugaise, on peut dire que les militaires ont été à bonne école et ont montré, œillets en moins, qu’un coup d’État peut aussi servir la démocratie. La découverte de pétrole rend d’autant plus importante l’adoption de lois sur la conservation de la nature sur cette petite ile. Mireia Boya retournera à São Tomé au printemps prochain pour y poursuivre ses travaux de doctorat sur la stratégie de conservation intégrée, une recherche codirigée par Robert Kasisi, de l’École d’architecture de paysage, et Paul Sabourin, du Département de sociologie. Daniel Baril |
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