Volume 40 - numÉro 8 - 17 octobre 2005 |
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Orthographe rectifiée: que faire en attendant le consensus?L’attentisme domine chez les langagiers en proie à l’insécurité
À l’occasion de la Semaine des dictionnaires, le Département de linguistique et de traduction organisait, le 7 octobre, un débat sur les modifications orthographiques appelées tantôt «nouvelle orthographe», tantôt «orthographe rectifiée». Rappelons que l’Académie française de même que l’Office québécois de la langue française (OQLF) ainsi que les organismes équivalents en Belgique et en Suisse approuvaient, en 1991, une série de modifications destinées à simplifier certaines règles orthographiques et à éliminer quelques exceptions. Peu de publications ont adopté ces rectifications, mais Forum, le journal de l’UdeM, les applique. Le débat a permis de constater que les langagiers semblent en attente d’un consensus alors que, du côté des usagers, personne ne soulève de problèmes sérieux quant à l’adoption des modifications proposées. Annie Desnoyers, responsable du soutien en français au Centre de formation initiale des maitres à la Faculté des sciences de l’éducation, a exposé les raisons pour lesquelles elle appuie la mise en application de l’orthographe rectifiée. D’une part, les modifications lui apparaissent de nature à faciliter l’apprentissage de l’orthographe, ce qui permet, notamment aux allophones, de consacrer plus de temps et d’énergie à la maitrise de la langue comme telle. Elle se dit par ailleurs d’accord par principe avec tout changement qui rend l’orthographe française plus conforme à l’usage d’aujourd’hui. Il faudrait suivre, à son avis, l’exemple de l’espagnol, qui a connu de fréquents ajustements et qui présente aujourd’hui une seule graphie pour un même son. «Il faut dépasser le niveau du “j’aime / je n’aime pas” ou “est-ce joli ou non?” et appliquer les rectifications suggérées même si leur portée est limitée», estime Mme Desnoyers. Trop peu mais insécurisantL’auteure bien connue du Multidictionnaire de la langue française, Marie-Éva de Villers, directrice de la qualité de la communication à HEC Montréal, est plutôt réfractaire aux modifications proposées. «La réforme a reçu l’aval de l’Académie française qui l’a par la suite torpillée, ce qui fait qu’elle est restée lettre morte en France», a-t-elle souligné. À son avis, les changements présentés ne sont pas systématiques – de nombreuses exceptions étant maintenues –, manquent de pragmatisme et ne facilitent pas l’apprentissage. «Ce sont surtout les accords plutôt que la transcription des sons qui posent problème en français et les accords sont très peu touchés par la réforme.» La réforme projetée compliquerait la vie aux spécialistes et leur apporterait «incertitude et insécurité» en plus de comporter un cout non négligeable. «Les inconvénients des rectifications dépassent les faibles avantages qu’elles procurent», affirme la linguiste. Elle signale également qu’une réforme de l’orthographe en Allemagne, qui devait être obligatoire dès septembre 2005, est sous le coup d’un moratoire. La position de Mme de Villers parait quelque peu ambigüe puisque celle-ci accepte certaines rectifications, comme fusionner les mots composés et appliquer les normes du français aux mots étrangers, tout en semblant rejeter la réforme en bloc parce qu’elle ne va pas assez loin ou ne s’attaque pas aux vrais problèmes. À son avis, il aurait mieux valu simplifier l’accord du participe passé, voire le rendre invariable comme on l’a fait avec le participe présent. Y a-t-il une demande?Le directeur du département des encyclopédies chez Larousse, Yves Garnier, a pour sa part souligné la complexité de la tâche d’adapter un ouvrage comme Le Larousse aux changements proposés. «Le Petit Larousse compte 15 millions de signes, précise-t-il. Inclure les rectifications ne se limite pas à ajouter une variante à un mot: il faudrait aussi que le dictionnaire les adopte dans l’usage, ce qui nécessiterait de refaire l’ouvrage au complet alors qu’il n’y a pas de sentiment d’urgence. Cela se fera s’il y a un usage important des modifications.» Mais l’usage peut-il devancer les ouvrages de référence? Le directeur ajoute qu’il doit aussi tenir compte de ce qui se passe ailleurs dans la francophonie. De plus, les Français sont friands de dictées, un sport national qu’ils craindraient de perdre si l’orthographe devenait trop facile! La quatrième intervenante, Noëlle Guilloton, conseillère en communication à l’OQLF, a rappelé la position «qui n’est pas avant-gardiste mais modérée» de l’organisme qu’elle représente. Après un avis favorable donné à la réforme en 1990, l’OQLF a préconisé d’en suspendre l’application en attendant un consensus dans le monde francophone. Entretemps, l’Office statue que les nouvelles et les anciennes graphies sont acceptées et qu’aucune n’est donc fautive. Il recommande de plus la fusion des mots composés dans la création de néologismes et l’application des normes françaises pour les mots étrangers. Mme Guilloton considère elle aussi que les rectifications causent de l’insécurité aux langagiers et qu’il est difficile pour le public de s’y retrouver. Selon la conseillère, les modifications de l’orthographe ne semblent pas répondre à un besoin précis de la société, contrairement aux attentes et aux demandes quant à la féminisation des titres de fonctions. Même si ce sujet demeure l’objet de controverses et connait de nombreux adversaires, l’OQLF n’a pas craint d’exprimer son leadership dans ce domaine. Par contre, l’organisme prend soin d’éviter que les textes choisis pour la Dictée des Amériques comprennent des mots visés par la réforme. Besoin d’informerL’organisatrice de l’activité, Monique Cormier, professeure au Département de linguistique et de traduction, a mentionné que, si l’Office est prudent, «c’est qu’il n’y a pas de consensus social et qu’il faut continuer d’informer la population». Dans l’auditoire, les intervenants se sont montrés plutôt favorables à la réforme, soulignant notamment qu’il existe déjà de nombreuses exceptions dans l’usage et que le maintien de certaines d’entre elles ou encore la coexistence de deux formes graphiques ne constituaient pas des facteurs d’insécurité. Chantal Contant, professeure au Département de linguistique et de didactique des langues de l’UQAM et coordonnatrice du Groupe québécois pour la modernisation de la norme du français, a signalé que plusieurs dictionnaires et correcteurs informatiques avaient intégré la plupart, sinon la totalité des rectifications. «S’il y a insécurité dans la population, dit-elle, c’est par manque d’information.» L’information dissiperait donc l’insécurité chez les usagers et faciliterait l’établissement du consensus. Fait étonnant, les langagiers sont en attente de ce consensus, mais ne semblent pas se percevoir comme des acteurs de sa mise en forme. Daniel Baril |
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