Volume 40 - numÉro 15 - 12 dÉcembre 2005 |
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courrier du lecteurL’assurance privée en santé favorise les nantis
En juin dernier, la Cour suprême du Canada décidait que, en vertu de sa charte des droits et libertés de la personne, le Québec ne peut interdire l’assurance privée pour les services médicaux et hospitaliers. Quatre des sept juges de la Cour ont statué que l’interdiction de souscrire une assurance privée brime le droit d’obtenir des soins, dans la mesure où de longues listes d’attente peuvent porter atteinte à la santé, voire à la vie. Les partisans de l’arrêt Chaoulli font grand cas du fait que, au Canada et au Québec, contrairement à ce qui se passe ailleurs, l’assurance privée ne peut pas couvrir les services médicaux et hospitaliers. En Europe et en Australie, l’assurance privée cohabiterait avec d’excellents systèmes publics de santé. La proposition peut sembler séduisante, mais qu’en est-il exactement? Le Canada et l’assurance privéeLes situations canadienne et québécoise se caractérisent par une couverture publique et universelle restreinte aux services médicaux et hospitaliers. D’autres pays sont plus généreux: par exemple, la Hollande, l’Allemagne et le Japon incluent les services de dépendance de longue durée. La part du privé varie selon les pays. Au Québec, elle comptait en 2002 pour 30% du total des dépenses de santé. En France, la proportion comparable était de 24%, en Allemagne de 22%, au Royaume-Uni de 17% et en Suède de 15%. Les assurances privées ne couvrent qu’une partie encore plus petite des dépenses de santé. En France, 13% des dépenses totales de santé sont couvertes par les assurances privées, 13% en Allemagne et 11% au Canada. Le Canada ne se distingue pas des autres pays quant à la part des dépenses totales de santé couvertes par l’assurance privée. Les compagnies d’assurance privée y trouvent autant leur compte qu’ailleurs. Le Canada se distingue seulement par la part restreinte des régimes privés dans la couverture des services médicaux et hospitaliers. La France et les tickets modérateursLe système de santé français est financé à partir de trois sources: un financement public par les cotisations obligatoires des travailleurs et des employeurs à la Sécurité sociale («la Sécu»), un financement privé au moyen d’assurances complémentaires (à 60% des mutuelles à but non lucratif) et finalement un paiement direct par les usagers (les «tickets» modérateurs). Le système est lourd, mais il vise à assurer une couverture universelle relativement complète. Les usagers doivent généralement payer une partie ou la totalité du cout des services qu’ils utilisent avant d’être remboursés par «la Sécu» et leurs mutuelles, ce qui constitue une barrière importante à l’accès aux soins. Globalement les dépenses de santé en France (9,7% du PIB en 2002) sont équivalentes à celles du Québec (10% du PIB). À dépenses égales, la France dispose de plus de médecins dans une proportion de 65% et de deux fois plus de lits hospitaliers que le Québec. Pourtant, malgré ces ressources, la pérennité du système et la qualité des soins inquiètent les Français. À cet égard, les titres des journaux sont révélateurs: «On rue dans les brancards, partout les services d’urgence sont au bord de l’explosion» (Les dossiers du Canard enchaîné, avril 2003), «Les listes d’attente atteignent parfois trois mois pour une consultation spécialisée» (Le Monde, novembre 2003), etc. La présence de «tickets» modérateurs divers en France constitue une entrave à l’accessibilité et à l’équité sans pour autant permettre de résoudre les tensions du système. Si les Français bénéficient de plus de services pour leur argent que les Québécois, cela s’explique non pas par la concurrence et le secteur privé mais par des revenus inférieurs pour les médecins et tout le personnel de la santé. Une solution politiquement impensable dans le contexte québécois. Le Royaume-Uni et les listes d’attenteLe système de santé britannique permet à ceux qui en ont les moyens et l’envie (de 10 à 15% de la population) de payer directement, ou par l’intermédiaire d’une assurance privée, les soins obtenus de pourvoyeurs privés. Ces dépenses privées représentent moins de 5% des dépenses totales de santé. Toutefois, la Grande-Bretagne est depuis des années aux prises avec des problèmes majeurs de listes d’attente. Malgré les efforts du gouvernement conservateur, au pouvoir de 1979 à 1997, pour réduire l’attente dans le système public en s’appuyant sur le système privé, les listes d’attente ont connu une croissance ininterrompue pour atteindre un sommet en 1998, alors que plus de 2% de la population totale y était inscrite. La durée moyenne d’attente était de 103 jours. Les études indiquent que de nombreux médecins ont utilisé la situation pour augmenter leurs revenus. En revanche, depuis l’arrivée des travaillistes, les listes d’attente ont chuté de 35%. Le temps moyen d’attente tourne autour de 80 jours. La solution: 5600 médecins et 18 000 infirmières de plus dans le système public, financé par une injection importante de fonds publics. En Grande-Bretagne, ce n’est pas le recours au privé qui a contribué à réduire l’attente pour les soins publics, mais un investissement accru dans le système public et la volonté de gérer avec plus de détermination les problèmes du système. L’Australie et le soutien gouvernemental à l’assurance privée En 1998, le gouvernement libéral australien subventionne l’achat d’assurance privée avec pour objectifs de réduire les couts de l’hospitalisation et de diminuer les listes d’attente. Cette politique s’accompagne d’une règlementation détaillée de l’industrie privée de l’assurance hospitalisation. La proportion d’Australiens qui adhèrent à un régime privé atteint 43% ces dernières années, contre 30% en 1998. Le cout total de cette réduction publique sur les primes d’assurance privée est d’environ 3 G$ AU actuellement. Elle a crû substantiellement depuis 1999, alors qu’elle était de 2,1 G$ AU. En 1999, il y a eu diminution des dépenses publiques d’hospitalisation de seulement 800 M$ AU. La différence entre le cout de la subvention publique à l’achat d’assurance privée et la baisse des dépenses publiques de santé atteint presque 1,3 G$ AU. Ce montant représente une perte nette de ressources financières à consacrer aux hôpitaux publics. Ce qui n’a pas empêché les dépenses publiques totales et les primes d’assurance privée d’augmenter de 7% par année au cours des trois dernières années L’effet sur les listes d’attente est à peu près nul. L’adhésion aux régimes privés d’assurance est surtout le fait des personnes à plus haut revenu. Les 30% des plus riches des Australiens ont reçu la moitié de la subvention fiscale de 2,3 G$ AU. Le gouvernement australien soutient avec l’argent du public le droit des plus riches à dépasser les files d’attente. L’introduction de l’assurance privée en Australie a accru les couts des services de santé, augmenté l’inégalité du financement des services de santé et n’a eu aucun effet observable sur l’efficience des services. Quels avantages?L’assurance privée des services de santé occupe au Canada une part comparable à celle qu’on trouve dans les autres pays, mais elle est absente des services médicaux et hospitaliers. Et la leçon à tirer des autres pays est la suivante: l’assurance privée favorise les favorisés. En France, ils sont les mieux assurés contre les «tickets» modérateurs; en Australie, ils reçoivent le gros des subventions publiques pour l’assurance privée; au Royaume-Uni, ils déjouent les files d’attente. Ni les «tickets» modérateurs français ni l’assurance privée pour les soins hospitaliers en Australie et au Royaume-Uni n’ont réduit les listes d’attente. Dans ces deux pays, les médecins ont diminué leur offre de service dans le système public et, en Australie, l’argent est littéralement pompé des fonds publics vers les poches des plus aisés. L’autre leçon à tirer de ces expériences? Pour régler le problème des listes d’attente, investissons dans le régime public. François Béland, André-Pierre Contandriopoulos, Damien Contandriopoulos, Régis Blais, Jean-Louis Denis, Paul Lamarche |
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