Volume 40 - numÉro 15 - 12 dÉcembre 2005 |
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Guy Bourgeault s’attaque au système scolaireUn professeur sonne l’alarme : l’école appartient à la chose publique et l’État doit la traiter comme telle, qu’elle soit privée ou pas
«Il ne revient pas à l’État de financer l’école privée», lance Guy Bourgeault dans son «Plaidoyer pour une école publique», publié dans le numéro hiver-printemps 2006 de la revue Possibles. L’État devrait au mieux offrir des bourses aux élèves de milieux modestes qui désirent fréquenter l’école privée, mais cette aide ne devrait jamais excéder 30 ou 40% du cout moyen d’inscription à une école publique. Ce n’est là qu’un élément de l’appel vibrant du professeur de la Faculté des sciences de l’éducation à une revalorisation de l’école publique et de ses enseignants. «Oui, l’école publique est menacée, explique-t-il au cours d’une entrevue à Forum. Elle est menacée par le ministère de l’Éducation, qui se préoccupe avant tout de productivité et de couts; par les syndicats, qui pensent pouvoir tout régler à coup de convention collective; et même par les facultés des sciences de l’éducation, qui concentrent l’essentiel de leur contribution sur la gestion de la classe.» Appelé à préciser sa pensée à l’égard des établissements qui forment les enseignants, il est encore plus cinglant: «Les universités n’ont jamais assumé leurs responsabilités en matière de formation des enseignants depuis que celle-ci ne relève plus des écoles normales. Partout, les universités se plaignent de la préparation déficiente des étudiants qu’elles admettent dans leurs programmes et pourtant elles refusent d’y investir créativité et ressources.» À une période où les enseignants du réseau scolaire tiennent des journées de grève toutes les deux semaines, faut-il plus d’argent pour le réseau public? «Ce n’est certainement pas qu’une question d’argent, répond-il. C’est surtout une question de respect et d’efforts pour valoriser les enseignants.» Un État fort pour le bien communL’État n’a pas été inventé pour «desservir des clientèles», rage Guy Bourgeault, mais pour gouverner la cité et servir l’intérêt public. «Or l’école [...] appartient à la sphère publique; elle est partie prenante de la chose publique.» L’individualisme ambiant exerce une pression en faveur de la consolidation d’un réseau parallèle d’écoles privées répondant le mieux possible aux besoins des parents-clients. On en a une nouvelle démonstration chaque automne avec la parution du palmarès des meilleures écoles secondaires dans L’actualité. Sauf exception, les 50 premières places sont occupées par des établissements privés. Mais les effets de cet «écrémage» des élèves les plus doués, selon l’expression de l’universitaire, sont désastreux sur le réseau public. «Dans les grandes familles d’autrefois, quand on avait un enfant malade sur sept, on pouvait vivre avec ça. Quand on compte cinq enfants malades sur sept, c’est forcément plus difficile.» Si Guy Bourgeault avait eu des enfants, il n’aurait pas hésité à les envoyer dans les écoles publiques de son quartier. «D’ailleurs, les cinq enfants de ma conjointe ont fait toute leur scolarité dans ce réseau et leurs études se sont très bien passées.» L’école n’est pas un prolongement de la famille, selon lui, mais un lieu permettant l’instruction et la formation professionnelle, de même que la socialisation. «Les Athéniens du temps de Socrate [...] l’avaient bien compris, pour qui la paideia désignait à la fois et indissociablement l’éducation, la culture et la civilisation ou l’art de vivre [...] dans une cité toujours à reconstruire», écrit-il. Et l’échec des garçons, le décrochage et autres catastrophes? Encore là, le professeur Bourgeault rejette le discours des alarmistes. Il rappelle que des 100 garçons inscrits à l’école catholique publique au milieu des années 40, quand lui-même entamait ses études secondaires, 40% abandonnaient l’école avant de finir leurs études primaires et seulement 4% atteignaient l’université. La part des filles était plus mince encore, particulièrement à l’université, où elles ne représentaient que 14% de l’effectif. Aujourd’hui, 99 des 100 enfants (garçons et filles) inscrits en première année terminent leur primaire; 72 obtiennent leur diplôme d’études secondaires, 59 vont au cégep et 25 à l’université. Qui a parlé d’échec scolaire? Liberté, égalité, disparitésPour Guy Bourgeault, la privatisation larvée du système scolaire fait apparaitre deux modèles: le modèle républicain, qui accorde un rôle central à l’État, et le modèle libéral, qui lui préfère la libre entreprise. Dès la révolution de 1789, la France a fait le choix d’un système scolaire public, républicain et laïque qui perdure de nos jours. De leur côté, les États-Unis ont opté pour le libéralisme. Bien sûr, chez nos voisins du Sud, certains programmes scolaires sont nationaux. Mais le 10e amendement de la constitution du pays confère aux États la responsabilité de l’éducation. Résultat: au nom de la liberté des parents qui paient, certaines écoles fondamentalistes refusent d’informer leurs élèves de la théorie de l’évolution... Elles s’en tiennent à la théorie de la création du monde ou du «design intelligent». Voilà où peuvent mener les écoles privées. Un troisième modèle, «communautarien», émerge. Il veut que les héritages culturels des différentes communautés soient pris en compte dans l’espace public, y compris à l’école. Au Canada et au Québec (malgré son héritage français), ce modèle domine. S’il reconnait des vertus au modèle communautarien, Guy Bourgeault ne le recommande pas pour autant. Ce modèle «invite à un repli communautaire qui appauvrit le débat démocratique et empêche un aménagement de la vie collective qui tienne compte des droits et libertés de chacun». Le modèle libéral pur et dur n’est pas plus recommandable, ni le modèle républicain français, qui a montré ses limites. L’auteur du «Plaidoyer pour une école publique» souhaite plutôt un «libéralisme renouvelé» réconciliant les exigences de la liberté et de l’égalité. Des pistes de solutionComment mettre en valeur l’école publique? Le professeur suggère d’abolir jusqu’à la notion d’école «privée», car, comme il le dit, toute école est publique. Deuxièmement, le gouvernement du Québec doit donner la priorité au réseau public afin de stimuler une plus grande créativité chez les enseignants. Ce réseau doit poursuivre son inclination à créer des écoles à vocation particulière pour tenir compte de la «diversité des talents, gouts, aspirations, etc.». Ensuite, les écoles privées ne doivent pas devenir des ghettos, mais demeurer ouvertes à tous. «La liberté religieuse, reconnue dans les chartes canadienne et québécoise, ne saurait être invoquée pour échapper aux règles fondamentales de la vie démocratique qui y sont inscrites: liberté de penser, égalité hommes-femmes…» Quatrièmement, il faut revoir le statut et le mandat des enseignants qui, à cause de l’alliance entre les gouvernements, les universités et les syndicats, exercent un simple «métier». L’engagement critique de l’enseignant n’est pas suffisamment pris en considération, à son avis. Enfin, Guy Bourgeault en appelle à un effort plus soutenu visant la maitrise des langues: le français d’abord, mais aussi une deuxième et même une troisième langue. Il arrive à des gens de railler Guy Bourgeault à propos de son poste dans une faculté des sciences de l’éducation, alors que cet ancien président du Conseil de presse du Québec est davantage associé à la bioéthique. «Qu’est-ce que vous faites là?» lui demande-t-on. Avec son plaidoyer en faveur de l’école publique, il n’a certainement pas choisi la voie tranquille et la langue de bois. Son texte se termine d’ailleurs sur un souhait qui pourrait bien être exaucé: «À débattre!» Mathieu-Robert Sauvé |
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