Volume 40 - numÉro 15 - 12 dÉcembre 2005 |
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La France et le Canada gèrent différemment le dossier des OGML’approche française de gestion intégrée accorde un plus grand rôle aux citoyens, observe Éric Montpetit
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la commercialisation des organismes génétiquement modifiés (OGM) ne suscite pas, en Amérique du Nord, les remous qu’elle provoque en Europe. Au premier abord, on pourrait être porté à considérer la réaction européenne comme une guerre commerciale contre les producteurs américains. «Ce n’est pas une question économique ni politique puisqu’il y a autant de producteurs d’OGM en Europe, rétorque Éric Montpetit, professeur au Département de science politique. Il s’agit plutôt de cultures divergentes de gestion des risques.» C’est ce qu’il a développé au colloque organisé le 30 novembre dernier par la Chaire Jean-Monnet en intégration européenne et portant sur la sécurité alimentaire en Europe et au Québec. La division du travailSpécialiste en analyse de politiques publiques, Éric Montpetit a étudié les diverses lois réglementant les OGM aux États-Unis, au Canada, en France et en Angleterre. Les différences marquantes qu’il a observées entre les politiques nord-américaines et européennes ont attiré son attention sur le mode de gestion des risques propre aux deux continents. «On pourrait penser que les préoccupations démocratiques sont plus fortes en Europe, mais la rhétorique démocratique est la même en Amérique, dit-il. L’explication est du côté de la culture de gestion, qui possède ses mécanismes de transformation et de transmission.» Au Canada, la gestion des risques alimentaires repose sur la logique de la division du travail, chaque étape relevant d’un spécialiste particulier: la détermination du risque est du ressort exclusif des scientifiques, l’évaluation de la dangerosité du risque appartient aux gestionnaires et aux fonctionnaires qui appliquent des normes de risque acceptable définies politiquement et l’information au public est l’affaire des communicateurs. L’ensemble du processus s’appuie sur une approche purement rationnelle de la gestion et sur l’idée que la science est productrice de vérités. «On se fie sur le fait que les scientifiques vont nous dire ce qu’il en est», souligne le professeur. À la fin des années 90, le Canada a créé le Comité consultatif sur la biotechnologie afin de faire une place au public dans la gestion des risques. Mais cet aménagement s’est instauré en conformité avec la culture de gestion rationnelle, c’est-à-dire en confinant le public à l’étape des risques acceptables et en laissant aux spécialistes le soin de déterminer si un produit constitue un danger ou non. L’approche intégréeEn France, la valorisation de la bonne chère fait partie des mœurs, mais ce n’est pas ce qui explique l’attitude différente à l’égard des OGM. «La gestion des risques alimentaires est plutôt basée sur une culture de l’unité, a noté Éric Montpetit. On ne considère pas la science comme porteuse de vérités universelles et l’on favorise l’intégration des divers partenaires à la gestion des risques.» La Commission du génie biomoléculaire (CGB), dont le mandat est d’évaluer, au cas par cas et avant toute autorisation de commercialisation, les risques pour la santé publique liés aux OGM, est un exemple de cette culture de gestion intégrée. Dès sa création en 1986, la CGB était composée de scientifiques, d’avocats, de parlementaires, de représentants des consommateurs et de groupes environnementaux. Avec la crise de la vache folle et le scandale du sang contaminé, la confiance des Français envers l’autorité morale des milieux scientifiques a été ébranlée et le public a réclamé plus de participation à la gestion des risques alimentaires. Cible de critiques, la CGB a dû faire plus de place à la diversité des points de vue sur les OGM et a adopté le principe du débat contradictoire avec comptes rendus de séances accessibles au public. «Les membres de la CGB peuvent présenter des rapports minoritaires ou des avis contradictoires s’ils jugent qu’il existe des risques, une chose qui semble impensable au Canada», affirme le politologue. Le Canada a aussi connu sa crise du sang contaminé, mais la crise a été gérée ici selon la gestion rationnelle: «Rien n’a été mis en cause, il n’y a pas eu de confrontations entre les scientifiques et le génie biomédical a continué de dominer le processus de gestion», signale Éric Montpetit. À son avis, l’évolution du processus français a été possible parce que la culture de gestion était déjà gouvernée par une approche intégrée plutôt que par une approche segmentée selon les niveaux de spécialisation et de responsabilité. «La culture de l’unité a pu se transformer pour accommoder la pression de démocratisation, indique-t-il. Cet élément a contribué à creuser le fossé entre l’Europe et l’Amérique du Nord sur les OGM.» Daniel Baril |
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