Volume 40 - numÉro 16 - 16 janvier 2006 |
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Redonner aux autochtones la maitrise de leur destinPierre Noreau dirige un projet majeur et multidisciplinaire sur la gouvernance autochtone
Dans l’état actuel du droit canadien, la question autochtone est incontournable et mieux vaut définir avec les autochtones ce que pourrait être la forme de gouvernance qui leur convient plutôt que de s’en remettre aux rapports de force ou de laisser aux tribunaux le soin de fixer les nouvelles règles. C’est l’approche retenue par le plus grand groupe de recherche en droit autochtone du Canada, dirigé par Pierre Noreau, professeur à la Faculté de droit et directeur du Centre de recherche en droit public. Au total, 39 chercheurs de 21 universités canadiennes, auxquelles s’ajoutent la Commission du droit du Canada, la Société royale et neuf associations autochtones, vont chercher à relever le défi d’établir un modèle d’interrelations harmonieuses entre peuples souverains partageant un même territoire. Le projet bénéficie d’une subvention de 2,5 M$ obtenue du plus important programme du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, soit le Programme des grands travaux de recherche concertée. Sur 34 projets présentés à ce concours et couvrant toute la gamme des sciences humaines, seulement quatre ont été retenus. La subvention s’étale sur cinq ans et les partenaires doivent y ajouter 2 M$. Souveraineté relativeLe projet Peuples autochtones et gouvernance s’inscrit dans la suite du projet qu’avait dirigé Andrée Lajoie il y a quelques années et qui cherchait à mieux comprendre les fondements lointains de la gouvernance autochtone. «Cette fois, nous voulons créer des modèles possibles de gouvernance et de rapports entre des nations autonomes, précise Pierre Noreau. La Cour suprême a reconnu l’existence des droits ancestraux et ceci inclut le droit de se gouverner. Ce nouveau contexte juridique nous oblige à penser les relations dans cette perspective de gouvernance autonome et à réfléchir sur les notions de souveraineté, de territoire et de droits fondamentaux.» De l’avis du juriste, on ne peut pas faire comme si cela n’existait pas: «Mieux vaut déterminer avec les autochtones la portée des droits ancestraux plutôt que de laisser la question aux tribunaux», déclare-t-il. Le projet qu’il dirige vise à ce que les autochtones se réapproprient une partie de leur destin collectif. «Le colonialisme a imposé des formes de gestion aux autochtones sans se préoccuper des impacts qu’elles pouvaient avoir sur leur mode de vie. La perspective postcolonialiste reconnait que leur forme de gouvernance doit être arrêtée à partir de leurs propres traditions et façons de penser le pouvoir, l’autorité, l’utilisation du territoire, etc.» L’approche postcolonialiste remet donc en question la notion de «souveraineté totale» de l’État sur un territoire au profit d’une perspective d’«autonomie relative». Selon Pierre Noreau, ceci a d’ailleurs toujours fait partie de la réalité; depuis les échanges commerciaux entre les colons français et les autochtones jusqu’à l’entente de la Baie-James et à celle de la Paix des braves, on a toujours dû tenir compte d’une souveraineté partagée sur un territoire partagé, souligne-t-il. De plus, notre système comporte déjà plusieurs paliers de gouvernement et l’administration de certains secteurs relève de bureaux régionaux sans que cette décentralisation pose problème. Droits fondamentaux et ancestrauxCes rapports sont évidemment à redéfinir sans cesse et il n’y a pas de modèle unique à proposer. «La situation est différente dans chaque région du Canada et pour chacune des communautés autochtones, poursuit le professeur. Certaines n’utilisent plus leur langue, d’autres ont accès à des territoires de chasse ou d’exploitation forestière. Le Québec leur reconnait le statut de nation mais pas le Canada. Certains chercheurs vont travailler sur le concept de fédéralisme, d’autres sur les relations entre communautés et d’autres encore sur les mécanismes de négociation entre les communautés et les gouvernements.» Cette réflexion se fera dans une perspective moderne qui devra éviter de folkloriser les droits ancestraux, assure Pierre Noreau. «Les autochtones peuvent vivre une forme de modernité dans le cadre de leurs droits traditionnels», dit-il. Quant au risque de conflit entre cette perspective et notre notion des droits fondamentaux, des ajustements seraient là aussi possibles. «Il faut recontextualiser la notion des droits fondamentaux et voir jusqu’où la société canadienne est prête à aller de ce côté. Cette notion est d’ailleurs perçue et appliquée différemment dans divers pays occidentaux comme la France et le Canada.» Ce projet de recherche multidisciplinaire, qui regroupe des chercheurs en science politique, droit, anthropologie, histoire, sociologie, science économique, criminologie et philosophie, a toutes les caractéristiques des projets contemporains; il est interdisciplinaire et interuniversitaire, il prend en considération les effets des choix et des décisions tout en garantissant une participation de la société civile. Pierre Noreau est confiant que les résultats permettront de dépasser les contextes canadien et québécois et que la réflexion pourra éclairer les problématiques autochtones ailleurs dans le monde. Daniel Baril |
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