Volume 40 - numÉro 16 - 16 janvier 2006 |
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Le cellulaire et les nouveaux rites de communication«Tout fucké», «Ça fait téteux», «Faire rien et vedger», «Ayoye, y’a genre…», «On va l’louer man, c’est trop malade!» «T’é où?»
Ces expressions qu’on entend tous les jours, dans l’autobus ou ailleurs, sont propres aux adolescents. Lorsqu’ils parlent entre eux, leur discours est ponctué d’automatismes et autres tics typiques de la langue des jeunes. «Leurs conversations téléphoniques apparaissent d’autant plus comme d’incroyables mosaïques linguistiques, soutiennent André H. Caron et Letizia Caronia, qui ont mené une recherche de longue haleine sur les échanges et le langage des adolescents au cellulaire. Selon M. Caron, professeur au Département de communication et coauteur d’un ouvrage sur le sujet, la technologie a donné naissance à une nouvelle façon de s’exprimer qui est truffée d’anglicismes, d’abréviations et d’expressions relatives à la technologie. Il n’y a pas que le sans-fil qui modifie le langage des jeunes, fait-il remarquer. Internet tend à encourager un discours bref, direct, mi-écrit et mi-parlé. «Mais le téléphone mobile bouleverse toutes nos règles de communication», souligne le chercheur. Signe de ce changement grandissant, le portable a «dessiné, en un temps record, des nouveaux rites de communication favorisant l’émergence d’un nouveau langage et plus largement d’une véritable technoculture chez les adolescents», précise-t-il dans Culture mobile: les nouvelles pratiques de communication. Publié en décembre dernier aux Presses de l’Université de Montréal avec la collaboration de la professeure Caronia, de l’Université de Bologne, l’ouvrage présente les résultats d’une analyse des pratiques de communication mobile des jeunes. On y trouve une foule de données intéressantes, qui s’appuient sur plus de 50 entrevues et des centaines de pages de transcription de dialogues téléphoniques. L’étude nous permet non seulement d’accéder à la «langue secrète des adolescents», mais aussi de mieux comprendre le rapport des jeunes avec le téléphone cellulaire. «Il s’agit d’un livre d’une incontestable valeur scientifique, selon Hervé Fischer. Il touche de façon novatrice et exemplaire à l’un des phénomènes anthropologiques les plus significatifs de notre époque», affirme le directeur du Multimédia de Montréal. C’est une référence incontournable, d’après lui. Génération «ON»Objet de désir adapté à la vie de tous les jours et ayant intégré l’appareil photo, le caméscope, le courriel et les jeux vidéo, le cellulaire est pour les jeunes un signe de statut social. «Ceux qui ne possèdent pas de sans-fil ne font pas partie de la gang», observe le directeur du Centre de recherches interdisciplinaires sur les technologies émergentes de l’Université. En 2005, environ 65 % des jeunes Canadiens possédaient un téléphone portable. «Ce taux, estime le professeur, se situe encore loin derrière celui des jeunes Scandinaves, qui ont un cellulaire dans une proportion de 110 %! À l’instar de nombreux Européens, dont les Italiens, ils possèdent parfois plus d’un appareil.» L’étude des professeurs Caron et Caronia révèle aussi à quel point il est très important pour les 16-24 ans de communiquer, d’être constamment en réseau, d’être «ON» pour reprendre l’expression des chercheurs. «Les moins de 25 ans veulent être joints partout, indique M. Caron. Ils sont toujours branchés, toujours en contact.» Ainsi ne faut-il pas s’étonner qu’ils utilisent fréquemment leur sans-fil dans des lieux aussi inusités qu’un autobus bondé. Ce n’est pas la technologie qui est responsable de cet état de choses, signale M. Caron. «C’est nous qui permettons à la technologie d’occuper cette place. C’est ainsi que le cellulaire a réussi, en un très court laps de temps, à reconstruire les liens sociaux et les relations interpersonnelles, bref à créer une véritable culture mobile.» C’est à cet aspect communicationnel que M. Caron et Mme Caronia se sont principalement intéressés dans Culture mobile. De l’interaction entre technologie et culture jusqu’aux discours de la publicité en passant par les usages impertinents, ils résument dans les quatre premiers chapitres les nouvelles pratiques de communication. Ils proposent ensuite un tableau global du langage, des interactions et de la culture des «technoadolescents». En amenant les lecteurs dans «un microcosme social et culturel», ils parviennent à expliquer les enjeux identitaires que vivent les jeunes et les transformations culturelles qu’engendre la technologie. Parmi les chapitres les plus percutants, le huitième met en relation la génération «ON» et la génération «OFF» alors que le neuvième expose les nouvelles éthiques et étiquettes de la technologie, notamment les bonnes manières au cellulaire. Les adultes qui ont tendance à conduire l’oreille collée à leur portable sont invités à lire attentivement cette section de l’ouvrage. Dominique Nancy |
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