Volume 40 - numÉro 17 - 23 janvier 2006 |
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La vie culturelle, il y a un siècle, était très dynamique à MontréalLa lumière est faite sur un épisode négligé et méconnu de notre histoire
En 1900, au Québec, il était interdit de présenter des concerts et des spectacles le dimanche; le jour du Seigneur devait être consacré à des œuvres de dévotion et rien d’autre. Dans deux salles de Montréal, pourtant, au Karn Hall et au Her Majesty’s, une quarantaine de concerts de piano et de musique de chambre ont été donnés de 1899 à 1901 au mépris de la loi municipale, ce qui vaudra des condamnations aux propriétaires. «C’était, pourrait-on dire, la musique “underground” de l’époque à laquelle participaient plusieurs musiciens francophones et anglophones», écrit la musicologue Marie-Thérèse Lefebvre dans le remarquable ouvrage La vie culturelle à Montréal vers 1900, paru il y a quelques semaines chez Fides. Dans ce livre qui trace un tableau d’ensemble du dynamisme culturel à Montréal il y a un siècle (musique, arts visuels, production littéraire, bibliothèques, etc.), les auteurs ont choisi de joindre un cédérom dont la musique accompagne le lecteur grâce à des enregistrements d’œuvres datant de cette période. On y trouve aussi une centaine d’illustrations parmi lesquelles des planches couleur dont la qualité de reproduction est excellente. «La vie culturelle montréalaise au tournant du 20e siècle est loin de ressembler au désert que nous imaginons volontiers», explique Micheline Cambron, qui a dirigé ce collectif signé par 17 auteurs, dont plusieurs de l’Université de Montréal. Si l’on connait assez bien les activités de l’École littéraire de Montréal, ajoute-t-elle, on sait moins que la musique et la peinture, notamment, étaient en pleine effervescence au bord du Saint-Laurent. À partir des actes d’une série de colloques qui se sont tenus en 1999 à l’occasion du centenaire des Soirées du Château de Ramezay, d’une exposition présentée à la Bibliothèque nationale du Québec et d’un récital à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, Mme Cambron est parvenue à donner une dimension interdisciplinaire au sujet, tout en le destinant au «grand public». Qui était Charles Gill?Dans un chapitre complet sur Charles Gill, connu pour avoir été un des rares intimes d’Émile Nelligan, Réginald Hamel fait la lumière sur celui que même les plus érudits qualifient de poète. Erreur: Gill était d’abord peintre et professeur de dessin. C’est à ce titre qu’il gagnait sa vie. Dans «Charles Gill (1871-1918): poète en peinture et peintre en poésie», M. Hamel relate sa découverte de la vraie nature du poète, à la suite de l’examen d’une caisse de documents demeurés secrets pendant plus de 50 ans. Incorrigible romantique tant par ses fréquentations féminines que par ses choix existentiels, Gill s’attache à la France et veut mourir pour elle sur les côtes africaines. Mais il revient à Montréal en 1894. «Gill est avant tout un peintre portraitiste et il ne deviendra poète que par accident et grâce aux leçons de versification de l’abbé Joseph Melançon, écrit M. Hamel. Cette vocation de peintre devient incontournable (entre 1909 et 1918) lorsqu’il découvre, au décès de ses parents, [que ceux-ci l’avaient] déshérité – la fortune était considérable – pour le punir d’avoir épousé la journaliste Gaëtane de Montreuil.» Charles Gill était-il un grand peintre? Pas vraiment, s’il faut en croire Réginald Hamel. Mis à part ses paysages, d’une «indéniable originalité», ses peintures n’ont rien révolutionné. Par exemple, lorsqu’il montre un penseur, c’est le visage enfoui dans les mains. Et il a connu beaucoup de succès, de son vivant, avec des scènes d’artistes accompagnés de leur muse. C’est heureux qu’il n’ait pas fait de tableaux historiques, mentionne M. Hamel, qui «imagine à peine les résultats». Mais tant son œuvre que sa vie ont été de riches témoins de leur époque. Charles Gill n’est pas le seul à recevoir ainsi un nouvel éclairage de spécialiste. Les poètes Albert Lozeau et Albert Ferland sont revisités par Michel Lemaire et Marta Horban-Carynnyk, alors que Louis Dantin reçoit l’attention de deux exégètes: François Hébert et Pascal Brissette. Dans un style très libre, M. Hébert parle de Dantin (dont le vrai nom était Eugène Seers) comme d’un personnage de Dostoïevski torturé par le doute. Seul le titre de son texte est une provocation: «L’“hostie” de Dantin». Ouvrir les frontièresMontréal étant fondamentalement biculturel, on ne limite pas les arts à la seule communauté d’expression française. Plusieurs toiles de peintres anglo-saxons sont reproduites de façon que William Brymner et Maurice Cullen côtoient Ozias Leduc et Edmond Dyonnet. On reconnait également le rôle majeur joué par les anglophones en matière de musique. Fondé à Montréal en 1892, le Ladies Morning Musical Club est le plus ancien organisme musical canadien. En invitant dès 1895 des musiciens de réputation internationale à venir se produire à Montréal, il favorisera l’éclosion d’une culture musicale dont les effets se font peut-être sentir encore de nos jours. Par ailleurs, souligne Marie-Thérèse Lefebvre, les femmes anglophones s’engageront à fond dans la «bataille du dimanche» pour faire retirer cette directive absurde interdisant les spectacles durant la seule journée où la plus grande partie des Montréalais ont congé. En guise d’épilogue, l’historien Yvan Lamonde salue le travail des auteurs pour avoir levé le voile sur un épisode négligé et méconnu de notre histoire. «Le tournant du siècle est à la fois le moment où l’intellectuel canadien-français émerge dans le lexique et dans la réalité et le moment où la culture devient loisirs, où les administrateurs, les marchands, les commis prennent le relai de la bourgeoisie dans l’organisation et la gestion de la culture», écrit-il. Pour la directrice de la Bibliothèque nationale du Québec, Lise Bissonnette, qui signe la préface, «le grand mérite de La vie culturelle à Montréal vers 1900 est d’ouvrir les frontières trop souvent hermétiques des savoirs universitaires». Mathieu-Robert Sauvé |
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