Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 17 - 23 janvier 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

La dépression peut provoquer l’arrêt cardiaque

Un nombre significatif de personnes ayant des problèmes cardiaques souffrent de dépression

Le Dr François Lespérance

De 10 à 15% des patients aux prises avec des problèmes cardiaques souffrent de dépression majeure et environ 30% ont des symptômes dépressifs, ce qui augmente le risque de mortalité. Le cœur et l’esprit sont donc intimement liés. S’attaquer à la dépression, même chez les cardiaques, permettrait de sauver des vies.

Mais comment soulager la souffrance psychologique: par la médication ou par la psychothérapie? C’est l’énigme que cherche à résoudre une équipe de 10 chercheurs sous la direction du psychiatre François Lespérance, professeur à l’UdeM et médecin au CHUM. «Chez une personne à tendance dépressive, l’annonce d’une maladie du cœur est souvent la goutte qui fait déborder le vase, explique-t-il. Pour traiter ou prévenir la dépression, la réaction la plus courante du médecin traitant consiste à prescrire un antidépresseur. Mais nous croyons que la solution pharmaceutique n’est pas toujours la plus indiquée.»

La recherche entamée à Montréal mais dont les participants sont recrutés à Toronto, Kingston, Ottawa et Halifax a pour but d’évaluer l’efficacité d’un antidépresseur (le citalopram) et celle de la psychothérapie interpersonnelle par rapport à une condition témoin, et ce, pendant 12 semaines. Le citalopram sera comparé avec un placébo et la psychothérapie interpersonnelle avec des visites de type médical. «Il ne s’agit pas d’une psychothérapie qui s’attarde aux aspects relationnels des patients déprimés. C’est une approche qui les incite à sortir de leur isolement émotif.»

Dépression et maladie cardiaque

Le Dr Lespérance se consacre depuis longtemps aux effets cliniques de la dépression. En 1993, il avait étroitement collaboré à une étude citée dans la célèbre revue de l’American Medical Association (JAMA) qui concluait que la dépression influait sur le pronostic cardiaque. La personne dépressive en postinfarctus courait de trois à quatre fois plus de risques qu’une personne non dépressive de mourir dans les six mois suivants, révélait cet article maintes fois repris par la suite.

Sa recherche clinique sur la dépression et les maladies du cœur n’est pas la seule à l’occuper ces temps-ci puisqu’il mène un important projet sur les liens entre le régime alimentaire riche en oméga-3 et les maladies de l’âme (voir Forum du 16 janvier dernier). Les premiers résultats sont attendus pour 2007.

S’il n’a pas peur d’appuyer des approches thérapeutiques alternatives, le Dr Lespérance n’est pas pour autant un contestataire de la médecine moderne. «Vous savez, les antidépresseurs ont beaucoup fait progresser la psychiatrie et leur action ne cesse de s’améliorer. Mais il ne faut pas abandonner les autres approches. N’oublions pas que de 40 à 50% des patients ne répondent pas bien aux antidépresseurs, soit de 4 à 5 personnes sur 10. C’est énorme. On fait quoi avec ces gens-là?»

La dépression est une maladie qui s’exprime par un ensemble de symptômes physiques et psychologiques, et elle est souvent liée à des facteurs interpersonnels, rappelle le médecin. «Ce serait formidable s’il y avait sur le marché une pilule pour transformer notre comportement, une pilule qui nous donnerait un bienfait équivalant à 20 minutes d’exercice, ironise-t-il. Mais comme ces pilules n’existent pas, il faut donc se tourner vers des méthodes qui peuvent modifier les attitudes de façon durable.»

On se doute bien que ce type de recherche n’intéresse pas tellement les compagnies pharmaceutiques. Sans les Instituts de recherche en santé du Canada, qui lui ont accordé 1,3 M$ sur quatre ans, cette étude de l’équipe du Dr Lespérance n’aurait pu voir le jour. Et si les 280 patients prévus au protocole forment une cohorte significative, le chercheur rêve de reconduire l’expérience dans toute l’Amérique du Nord, sur des milliers de sujets.

Entamée en juin 2002, l’étude a pu réunir les 280 sujets. Aucun résultat n’a encore été analysé, mais le Dr Lespérance croit que le milieu de la cardiologie sortira gagnant de l’expérience. «Si nous démontrons l’efficacité de la psychothérapie, cela amènera peut-être les hôpitaux à investir plus de ressources dans ce secteur souvent négligé. À mon avis, il manque cruellement de psychologues dans les centres hospitaliers.»

Au CHUM, donne-t-il comme exemple, il n’y a guère que cinq ou six psychologues. Quant à l’Institut de cardiologie de Montréal, aucun n’y travaille à temps complet.

Mathieu-Robert Sauvé

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