Volume 40 - numéro 18 - 30 janvier 2006 |
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La génération numérique veut vivre comme les babyboomersLes jeunes qui travaillent dans ce qu’il est convenu d’appeler la nouvelle économie rêvent d’une vie… stable et rangée
Les jeunes d’aujourd’hui ne souhaitent pas refaire le monde. «Ils veulent un emploi stable, bien payé. Ils désirent travailler 35 heures par semaine, du lundi au vendredi», déclare Jacques Hamel, professeur au Département de sociologie. Cette constatation se dégage d’une vaste étude à laquelle 6464 étudiants ont été invités à participer. Âgés de 18 à 35 ans, ceux-ci étaient tous inscrits entre 1996 et 2001 à des programmes collégiaux ou universitaires québécois liés à la «nouvelle économie» (biochimie, microbiologie, informatique, techniques d’intégration multimédia et techniques spécialisées en biotechnologie) et ils ont accepté de répondre au sondage en ligne que M. Hamel leur proposait en 2003. Sur la base de leurs réponses, le sociologue a constitué un échantillon de jeunes – diplômés ou non – qui travaillaient dans leur champ d’études. Par la suite, 135 personnes ont été rencontrées au cours d’entrevues d’une durée de deux heures afin de prendre le pouls de la génération numérique. Les résultats de l’étude démontrent que l’image de ces jeunes ne correspond pas à celle véhiculée par les médias, où ils seraient plutôt enclins à demeurer longtemps au service d’un même employeur. «Dans le secteur de la production multimédia, par exemple, les travailleurs possèdent plusieurs habiletés personnelles et tentent de les négocier avec leur patron. Cela a pour conséquence une plus grande mobilité professionnelle, souligne le sociologue. Dans ce milieu, le diplôme de fin d’études importe moins que le portfolio.» Ce dossier personnalisé, regroupant tous les projets et réalisations d’un candidat, est envoyé au futur employeur au moment d’une demande d’emploi. Afin de diversifier les tâches accomplies pour garnir leur portfolio, les jeunes travailleurs « numériques » peuvent changer plusieurs fois d’entreprise en une seule année. Cela est toutefois moins valable en biotechnologie, un milieu plus classique où l’embauche est plutôt conditionnelle à la possession d’un diplôme. Une réalité sociologiqueLe terme «génération numérique» a été proposé par le Canadien Don Tapscott et englobe les personnes qui sont nées entre 1977 et 1997. «C’est une génération qui a grandi avec les jeux vidéo, les ordinateurs, les téléphones cellulaires, et qui est familiarisée avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication, explique le chercheur. Enfants, ils ont connu les médias interactifs, contrairement aux générations précédentes, qui sont celles de la télévision.» L’étude de Jacques Hamel et son équipe – Bjenk Ellefsen, Caroline Dawson et Maxime Marcoux-Moisan de l’UdeM ainsi que quatre chercheurs de l’Observatoire Jeunes et société, soit Claude Trottier, Madeleine Gauthier, Marc Mongat et Mirshea Vuntur – permet de nuancer la thèse d’André Gorz sur les dissidents du numérique. Celui-ci soutient que les jeunes qui ont étudié dans ce domaine sont souvent déçus de leur expérience en entreprise. Après s’être investis dans le travail pendant quelque temps, ils délaissent ce secteur et deviennent ainsi des dissidents du numérique. «À quelques exceptions près, on n’a pas vu de dissidents du numérique. Si ce phénomène existe, il est marginal au Québec», affirme le spécialiste des jeunes. Les chimères du numériqueDepuis longtemps intéressé par les questions d’insertion professionnelle et sociale, Jacques Hamel a tenté de comprendre comment ces jeunes, une fois leur formation terminée, s’insèrent dans le marché du travail et dans la société. «On parle d’insertion sociale lorsque quatre étapes sont franchies: fin des études, début d’une activité professionnelle, départ du domicile familial et formation d’un couple suffisamment stable pour la venue d’un enfant», résume Jacques Hamel. La nouvelle économie semble proposer des modalités particulières pour les emplois en biotechnologie, multimédia et informatique. Selon les spécialistes qui étudient ce type d’économie, le travail y est perçu comme un jeu et des qualités précises y sont associées: l’ouverture d’esprit, l’innovation, la réciprocité (adaptation rapide, prise d’initiatives) et la flexibilité (autonomie, travail en équipe). «Cela reste une chimère pour tous, y compris dans le secteur du multimédia, indique le sociologue. Si ces gens travaillent en commun, c’est habituellement parce qu’ils doivent boucler un contrat rapidement.» Le chercheur a en effet découvert des employés ayant très peu de rapports interpersonnels même si la nouvelle économie vantait le travail en équipe. Les professionnels de ces domaines sont plutôt habitués à travailler seuls, puisque chacun est responsable d’un aspect du projet. Assis devant leur écran, les écouteurs sur les oreilles, ils se sont créé un univers personnel de travail où chacun écoute son style de musique. Professeur à l’UdeM depuis 1987, Jacques Hamel parraine un autre projet à l’intérieur de son cours Culture et société: la venue de Philippe Descola, titulaire de la Chaire d’anthropologie de la nature au Collège de France. À l’automne 2006, l’Université aura la chance de l’accueillir dans un cours spécial donné à l’extérieur de la France par le prestigieux établissement parisien. Ce cours devrait attirer des étudiants des quatre coins du Québec et peut-être du reste du Canada. Natacha Veilleux |
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