Volume 40 - numÉro 19 - 6 fÉvrier 2006 |
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Prévenir le suicide en soignant la dépressionLa moitié des personnes suicidaires souffrent de dépression, souligne le Dr Alain Lesage
Bien que ce soit la Semaine québécoise de la prévention du suicide, plus d’une vingtaine de personnes risquent de s’enlever la vie cette semaine au Québec. Avec ses 1500 suicides par année, la province occupe toujours le premier rang au Canada pour le taux de suicide et l’une des premières places au monde. Pour le Dr Alain Lesage, professeur au Département de psychiatrie et chercheur au Centre de recherche Fernand-Seguin, ce taux pourrait être presque réduit de moitié si les différents intervenants des services sociaux et des services de santé étaient en mesure de repérer les cas à risque. Et l’un des principaux symptômes est la dépression. «Les autopsies psychologiques des suicidés montrent que 50 % d’entre eux souffraient de dépression et que les deux tiers avaient des problèmes de consommation d’alcool ou de drogue, révèle le psychiatre. Soigner la dépression et intervenir efficacement auprès des gens aux prises avec les deux symptômes permettrait donc d’abaisser le taux de suicide.» Repérer les signesCe n’est que dans les années 90 que les politiques de la santé ont réintroduit les troubles mentaux dans les facteurs de risque du suicide. Auparavant, le suicide était perçu comme une crise subite; la stratégie consistait alors à intervenir en cours de crise pour éviter le geste fatal. Mais les nouvelles approches ont permis de comprendre que des idées suicidaires peuvent trotter longtemps dans l’esprit de la personne, même si elle n’est pas en crise. Il faut savoir déceler les signes, ce qui n’est pas toujours aussi simple qu’on pourrait le croire. «En clinique, on peut voir les signes comme les troubles mentaux et la dépression, mais la capacité de prévoir qui va passer à l’acte est considérablement défaillante, affirme le Dr Lesage. Sur les 100 000 patients que voit un clinicien, 4000 ont eu des idées suicidaires, 400 ont fait une tentative de suicide et 20 ont effectivement mis fin à leurs jours. Si plusieurs suivent une pente descendante graduelle, l’histoire de vie de certains patients ne présente aucun indice particulier, sauf un accident de parcours comme une séparation dans les derniers jours qui a été l’élément déclencheur.» De plus, tous les déprimés ne consultent pas un médecin ou un thérapeute. Dans le groupe des suicidaires atteints de dépression, seulement de 10 à 20% étaient traités par médication. Cela veut dire que de 40 à 45% des dépressifs suicidaires échappent au système. Selon le psychiatre, il faudrait que les intervenants soient plus attentifs aux cas de comorbidité, soit les hommes et les femmes qui combinent dépression et problèmes de consommation, afin d’éviter qu’ils se retrouvent sur deux chaises différentes dans le système de santé. La qualité des soins est donc en cause. «En Allemagne et aux États-Unis, des programmes bien structurés d’intervention à plusieurs niveaux incluant la formation des médecins, des enseignants et des parents pour parvenir à repérer les cas à risque ont permis de diminuer le taux de suicide», déclare le psychiatre. Le Dr Lesage reconnait que la psychothérapie ne guérit pas tous les cas de dépression à cent pour cent, mais il estime que le taux de réussite va «de léger à modéré, comme pour la douleur». «La simple atténuation de la dépression ou l’évitement d’incidents déprimants peuvent améliorer les conditions de vie de ces gens», signale-t-il. Multiplicité de facteursMême si le taux de suicide au Québec est deux fois plus élevé que celui de l’Ontario, même si le suicide affecte davantage les francophones et qu’il touche quatre fois plus d’hommes que de femmes, Alain Lesage n’y voit pas le signe de facteurs génétiques. «Il y a 40 ans, le Québec avait le plus faible taux de suicide au Canada et la génétique n’a pas changé», observe-t-il. La cause de l’augmentation lui parait être dans les changements socioculturels: la religion n’a plus d’effet préventif et les jeunes générations sont souvent face à un mur, contrairement aux années 60, où tout semblait possible. Pour ce qui est du plus grand nombre d’hommes concernés par le suicide, une combinaison d’éléments serait en cause: génétique, impulsivité, facteurs développementaux, mauvaise gestion des humeurs, bref, la culture masculine. Le médecin se réjouit en revanche de voir des signes de changement dans cette culture. Le cas du général Roméo Dallaire en serait un exemple. «Le général Dallaire a brisé les tabous en parlant publiquement de sa dépression, fait-il remarquer. L’armée s’est montrée solidaire envers lui et ne l’a pas démis, contrairement à ce qui est arrivé en Belgique.» Il y aurait donc là une piste de prévention: aider le dépressif à s’exprimer et continuer de le soutenir. Suicide assistéParallèlement aux efforts investis pour prévenir le suicide, on parle de plus en plus de permettre le suicide assisté lorsque la médecine est impuissante à combattre la douleur et la maladie. Ceci peut paraitre contradictoire, mais les situations ne sont évidemment pas les mêmes. Quoi qu’il en soit, le Dr Lesage considère que le suicide assisté ne doit pas relever de la seule décision de l’individu. «Le suicide cause toujours des dommages sérieux aux proches, qui perçoivent le geste comme un manque de solidarité à leur endroit ou qui se sentent coupables du geste accompli. La décision doit être équilibrée par la sensibilisation à l’égard de ce que les autres en pensent. Il faut éviter de dire que l’entourage va être soulagé. L’effet sur les proches peut être très grave», indique le psychiatre. Daniel Baril |
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