Volume 40 - numÉro 19 - 6 fÉvrier 2006 |
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Les violeurs d’adolescents sont des criminels mal connusSophie Desjardins signe une thèse sur les hébéphiles
Le pédiatre Jocelyn Lussier, condamné en 2005 à trois ans d’emprisonnement pour avoir agressé sexuellement trois adolescents, et Mario Bastien, reconnu coupable en 2001 du viol et du meurtre d’un garçon de 13 ans, sont des «hébéphiles» (du grec hêbê, qui signifie «adolescence», et philein, qui signifie «aimer»). En raison de leur attirance pour les adolescents, ces agresseurs sexuels sont d’un type particulier, distinct des violeurs et des pédophiles. «Les hébéphiles constituent une réalité clinique inquiétante et pourtant ils sont quasi absents de la littérature scientifique», constate Sophie Desjardins, auteure d’une thèse sur la question récemment déposée à l’UdeM. Selon elle, les tendances de l’imprésario Guy Cloutier, qui purge actuellement une peine de 42 mois de prison pour agressions sexuelles, et celles de Paul Bernardo et de Karla Homolka, accusés en 1995 du meurtre de Kristen French et de Leslie Mahaffy, correspondent également à la définition de l’hébéphilie (appelée aussi «éphébophilie»), car leurs victimes étaient à la frontière de l’enfance et de l’âge adulte, du moins pour la majeure partie des agressions. Après avoir consacré plusieurs années de sa vie à ce travail universitaire, au cours duquel elle a étudié les données relatives à 149 hommes reconnus coupables d’agressions sexuelles ayant conduit à une sentence d’emprisonnement de deux ans et plus dans un pénitencier fédéral, Mme Desjardins estime que les systèmes judiciaire et pénal devraient se pencher au plus vite sur cette déviance particulière. «Bien que les victimes d’hébéphiles représentent plus du quart des proies sexuelles au Québec et plus du tiers au Canada, nous ignorons presque tout de ceux qui les ont agressées. Ma thèse lève un peu le voile sur cette réalité, mais il y a encore beaucoup à apprendre.» Pourquoi cette urgence? Parce que les programmes de prévention auprès des victimes et les traitements destinés à réhabiliter les agresseurs seraient mieux adaptés si l’on connaissait davantage l’hébéphilie. L’étude de Sophie Desjardins révèle d’ailleurs que les autorités ont tort de considérer les hébéphiles comme des pédophiles «ordinaires». Comparés à ces derniers, les agresseurs d’adolescents «ont plus souvent recours à la force pour obtenir des faveurs sexuelles de la part de leurs victimes et sont plus nombreux à faire usage d’une force excessive et à utiliser une arme au moment du délit. Le coït est aussi la norme, chez eux, alors que chez les pédophiles il se produit dans une minorité de cas.» Une recherche exhaustiveTant les caractéristiques délictuelles et personnelles des hébéphiles que leur modus operandi diffèrent des autres types d’agresseurs sexuels. Ils ont bien sûr quelques points communs avec les pédophiles au sens strict – soit des personnes attirées sexuellement par des victimes prépubères – et les violeurs – qui sévissent auprès de la population adulte non consentante. Mais, quand on les étudie, on constate qu’ils forment un groupe distinct. À l’instar des violeurs qui font usage de la violence pour arriver à leurs fins, près de un hébéphile sur quatre se sert d’une arme contre ses victimes. Ces agresseurs sexuels d’adolescents s’adjoignent un complice plus fréquemment que les violeurs et les pédophiles pour assouvir leurs pulsions et ils sont plus nombreux que ces derniers à prendre pour proies sexuelles des jeunes de sexe féminin. Ils cherchent également davantage à les humilier que ne le font les pédophiles. Les hébéphiles se distinguent par d’autres aspects. «Les hébéphiles agissent rarement dans leur milieu immédiat, mais ne choisissent habituellement pas pour autant une victime au hasard, comme bien des violeurs», signale Mme Desjardins. Sur les plans personnel et socioéconomique, la diplômée rapporte des différences étonnantes d’un groupe à l’autre. Bien que la majorité des agresseurs sexuels étudiés aient été sans emploi au moment de l’évaluation, cette réalité s’est avérée encore plus criante chez les hébéphiles: 84% d’entre eux n’avaient pas d’occupation salariée. «Ils sont plus souvent antisociaux que les violeurs et les pédophiles. Un tiers d’entre eux consomment des drogues dures contre 20% des pédophiles et 50% des violeurs.» Cela dit, cette catégorie d’agresseurs est «psychosexuellement plus mature que les pédophiles, ce qui ferait en sorte que leur pronostic de réhabilitation, lorsqu’ils commencent un traitement, serait meilleur». La thèse de Sophie Desjardins s’appuie ainsi sur l’interrogatoire de 50 pédophiles (dont les délits avaient été perpétrés sur des enfants de moins de 13 ans), 49 hébéphiles (victimes âgées de 14 à 17 ans) et 50 violeurs (victimes de 18 ans et plus) inculpés au criminel. Cette liste est non nominative – c’est-à-dire que les fichiers ne contiennent pas les noms des agresseurs –, mais elle a été préparée par une équipe multidisciplinaire composée de psychologues, de criminologues, de sexologues, de conseillers en formation professionnelle et d’agents de services correctionnels. Un grand nombre de variables ont été abordées, dont la consommation d’alcool et de drogue et la présence de fantasmes dans les 48 heures ayant précédé le délit. En cette ère d’hypersexualisation des jeunes, il n’est pas anormal de ressentir de l’attirance pour des adolescentes ou des adolescents, reconnait la psychologue, qui mène actuellement des études de postdoctorat au Centre de recherche Fernand-Seguin et à l’UQAM. «Ce qui l’est moins, car c’est immoral et illégal dans notre société, c’est de passer à l’acte», ajoute-t-elle. Mathieu-Robert Sauvé |
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