Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 20 - 13 fÉvrier 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Philosopher au primaire

L’enseignement de la philosophie aux enfants permet de développer la pensée critique même au préscolaire

Marie-France Daniel

La philosophie n’est pas nécessairement une discipline aride pour adultes sérieux et ultrarationnels. Depuis une vingtaine d’années, des expériences d’enseignement de la philosophie ou de développement de la pensée critique sont menées dans différentes écoles primaires du Québec.

«Dans certains pays comme l’Espagne et l’Écosse, l’enseignement de la philosophie aux enfants est obligatoire à l’école primaire, mais les expériences québécoises relèvent de l’initiative de certains enseignants», mentionne Marie-France Daniel, professeure d’éthique appliquée au Département de kinésiologie.

Spécialiste de la philosophie de l’éducation, Marie-France Daniel observe ces expériences depuis près de 20 ans et en évalue les effets tant sur le développement de la pensée critique que sur celui des comportements sociaux. L’approche de philosophie pour enfants (PPE) peut même s’adapter au préscolaire. La chercheuse a d’ailleurs elle-même produit un guide pédagogique destiné à ce niveau: Dialoguer sur le corps et la violence: un pas vers la prévention (Le loup de gouttière, 2002); ce matériel fait actuellement l’objet de projets de recherche au Québec, en France et en Belgique.

Compétence transversale

Le développement de la pensée critique est une des fameuses compétences transversales qui font régulièrement la manchette, mais il ne fait partie des objectifs d’aucun cours en particulier.

«On sent des réticences au ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport à investir dans la formation du jugement critique, note la chercheuse. C’est peut-être parce que la société considère que le rôle de l’école est de transmettre des connaissances et non de former la pensée autonome.»

La PPE s’intègre toutefois très bien à des matières comme le français, les mathématiques et la morale. Et il n’est jamais trop tôt pour commencer. «Quel que soit le niveau, les enfants adorent cette approche, malgré les exigences de discipline et de rigueur qu’elle leur impose», affirme Marie-France Daniel.

Dans un ouvrage sur l’application de la PPE à l’enseignement des mathématiques (Pour l’apprentissage d’une pensée critique au primaire, PUQ, 2005), la professeure souligne que la recherche de logique et de cohérence fait partie des réflexes naturels de l’enfant parce que ces éléments sont nécessaires à la pensée. «Lorsque l’enfant réplique en disant “C’est quoi le rapport?”, il se situe dans une quête de cohérence», souligne-t-elle.

Le fait de poser des questions est un acte mental spontané et c’est sur cette habileté cognitive que se fonde la PPE. «Les recherches montrent que les enfants sont capables de dépasser les stades de Piaget et de Kohlberg; le potentiel est là et il s’agit de le stimuler.»

Pour y arriver, la PPE recourt à des contes philosophiques comprenant un dilemme moral à résoudre plutôt qu’à de la simple littérature jeunesse qui pourrait contenir une morale implicite. L’objectif n’est pas d’inculquer une norme mais de susciter un effort cognitif pour que l’enfant trouve par lui-même une réponse qui convient au dilemme.

L’enseignant doit donc amener les élèves à apprendre à formuler des questions qui portent sur le sens et qui vont au-delà de la simple compréhension du texte

«Inciter l’enfant à faire des choix autonomes ne signifie pas le laisser choisir n’importe quoi, précise Marie-France Daniel. Il doit justifier ce qu’il veut faire, envisager des solutions de rechange, tenir compte des conséquences de ses choix et vérifier les résultats de ses choix. L’approche vise la responsabilisation et non le laxisme.»

La PPE nécessite donc une formation particulière de la part des enseignants, mais il ne se donne aucun cours propre à cette approche en formation des maitres. Les enseignants intéressés par la PPE doivent aller chercher eux-mêmes une formation non créditée. Marie-France Daniel organise pour sa part des ateliers de formation pour ces enseignants.

Pour tous les milieux

La PPE ne s’adresse pas qu’à de petits bolés. Mme Daniel a constaté dans ses recherches que l’approche philosophique conduit les enfants à gérer plus efficacement les conflits et améliore leur estime de soi, en plus de favoriser les apprentissages, et ceci, quel que soit le milieu.

«Des expériences ont été effectuées avec des enfants de milieux défavorisés et aux prises avec des difficultés d’apprentissage, indique-t-elle. En adaptant la méthode avec des exercices plus moteurs que livresques, les résultats ont été aussi positifs que dans les classes ordinaires; ces enfants manifestaient une meilleure capacité réflexive sur les effets de la violence que les enfants des classes témoins.»

Ne devrait-on pas alors généraliser l’enseignement de la philosophie au primaire? «Il est préférable que cet enseignement demeure une initiative personnelle des enseignants parce que, pour montrer le plaisir de la réflexion, il faut se poser soi-même des questions, répond la philosophe. Les enseignants qui ne s’intéressent pas à cette matière risquent d’appliquer la méthode de façon minimaliste et les enfants ne l’apprécieront pas.»

Marie-France Daniel juge par ailleurs paradoxale l’idée de faire du développement de la pensée critique un des objectifs du cours d’enseignement religieux. «L’enseignement religieux cherche à développer une croyance alors que la PPE veut déconstruire les croyances pour les analyser et leur redonner un nouveau sens. Cela risquerait également de créer un malaise chez les professeurs chargés de l’enseignement religieux.»

Le cours d’enseignement moral, qui vise d’ailleurs la maturation du jugement plutôt que la transmission de normes, lui parait un terreau plus fertile.

En définitive, l’approche philosophique pourrait peut-être représenter une issue à l’impasse dans laquelle se trouve le projet de remplacement de l’enseignement moral et de l’enseignement religieux au secondaire. Mais ça, c’est une autre histoire…

Daniel Baril

Ce site a été optimisé pour les fureteurs Microsoft Internet Explorer, version 6.0 et ultérieures, et Netscape, version 6.0 et ultérieures.