Volume 40 - numÉro 20 - 13 fÉvrier 2006 |
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Langage: les garçons disent «camion», les filles «pleurer»Les petites filles ont un vocabulaire plus riche que celui des garçons, mais ces derniers les rattrapent vers l’âge de 28 mois
Le vocabulaire acquis par les enfants âgés de 16 à 27 mois varie selon les sexes. Parmi les 100 premiers mots que les garçons apprennent, on trouve «vroum», «auto» «camion» et «tracteur» alors que les termes «doux» et «pleurer» semblent davantage faire partie du langage des filles. C’est ce que révèle une étude menée au Laboratoire sur le développement du langage du Centre de recherche de l’Hôpital Sainte-Justine et de l’École d’orthophonie et d’audiologie de l’UdeM. La recherche réalisée par Caroline Bouchard au cours d’un stage postdoctoral avec les professeures Ann Sutton et Natacha Trudeau auprès d’enfants francophones dont l’âge variait de 8 à 30 mois indique une différence entre les garçons et les filles quant aux types de mots acquis. «Cela peut sembler cliché, mais les résultats démontrent que les différences sur le plan des champs d’intérêt ou des expériences se reflètent dans le vocabulaire, affirme Mme Trudeau. La preuve: les mots “tracteur” et “vroum” ne font même pas partie du répertoire langagier acquis par les filles.» L’orthophoniste admet qu’il existe sans doute une influence culturelle qui expliquerait pourquoi le vocabulaire des garçons comprend davantage de mots faisant référence à des véhicules. «Peut-être que les parents jouent plus aux autos avec leurs fils.» C’est connu, renchérit Mme Sutton, la motivation et l’expérience émotive sont une source importante d’apprentissage. «On apprend à exprimer des choses qui sont pertinentes ou utiles pour nous», dit-elle. Mais à ce jour aucune étude n’avait établi le phénomène de façon empirique. C’est maintenant chose faite. Les filles ont un lexique plus vasteLa recherche effectuée à partir de données recueillies à l’intérieur du projet MacArthur, un outil utilisé en anglais pour évaluer le lexique et les bases de la syntaxe des bambins que Natacha Trudeau a normalisé en français québécois, met aussi au jour une différence significative entre les sexes pour ce qui est de l’étendue du lexique. «Les petites filles acquièrent en général une trentaine de mots de plus que les garçons au début, rapporte Natacha Trudeau. Mais à partir de 28 mois, les garçons les rattrapent.» Spécialistes de l’acquisition du langage, Mmes Sutton et Trudeau précisent que ce constat ne doit pas conduire à un jugement précipité: il y a des garçons qui acquièrent rapidement un vaste lexique et des filles dont le vocabulaire est plus limité. Le tout est une affaire de proportion, comme le déclarent les chercheuses. Même si ce léger écart ne permet pas de dire que les filles sont plus douées que les garçons – «La différence entre les garçons et les filles n’est pas significative sur le plan clinique», soutient Ann Sutton –, il semble conforme aux constatations selon lesquelles les filles sont dotées d’une plus grande aisance verbale que les garçons. Cela pourrait expliquer en partie pourquoi elles réussissent proportionnellement mieux dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, comme le mentionne un rapport du Conseil supérieur de l’éducation du Québec. Cette différence cognitive entre les sexes est-elle biologique ou culturelle? «La question est complexe et ne se limite certainement pas qu’aux aptitudes langagières», estiment les professeures Sutton et Trudeau. Elles rappellent que les comportements des parents pourraient être à l’origine des différences entre garçons et filles observées dans les tests d’aptitude verbale ou du moins y jouer un rôle. La scolarité de la mère exerce une influenceDes études faites dans les années 70 ont en effet déjà montré que les interactions verbales étaient plus nombreuses entre une mère et sa fille qu’entre un fils et sa mère. Une autre recherche a révélé que, pendant les deux premières années de vie, les mères donnaient plus de marques d’attention à leur fille et babillaient plus facilement avec celle-ci qu’avec leur petit frère. Enfin, une autre étude a signalé que, dans les familles nombreuses, le père s’adressait plus rudement aux garçons qu’aux filles. Plus récemment, une étudiante de deuxième cycle en orthophonie et audiologie de l’Université s’est intéressée à l’influence de certaines variables sociodémographiques sur l’acquisition du langage des enfants. Dans son travail de recherche dirigé par la professeure Trudeau, Marie-Claude Boudreault a mis en lumière des interactions entre les sexes et le niveau d’études des parents. L’étude menée auprès de 700 des 1200 enfants de l’échantillon du projet MacArthur révèle que le vocabulaire des filles est influencé par le niveau de scolarité de la mère. «On n’observe pas de différences entre les mères qui ont fait des études universitaires ou collégiales relativement au nombre de mots produits par les enfants, signale la jeune chercheuse. Les enfants dont les mères possèdent un diplôme d’études secondaires se situent cependant légèrement au-dessous de la moyenne. On parle de moins d’un écart type, mais la différence est significative.» Le plus surprenant, c’est que le vocabulaire des garçons ne semble pas touché par le niveau d’études de la mère. La chercheuse qui poursuit ses analyses ne sait pas encore si le niveau de scolarité du père a un ascendant notable sur le développement du langage des jeunes enfants. «Pour l’instant, on remarque un effet seulement chez les filles dont la mère n’a pas de diplôme d’études collégiales ou universitaires, ajoute Marie-Claude Boudreault. Les aptitudes langagières des garçons, elles, restent stables.» Est-ce que les filles sont plus sujettes à l’influence de leur mère? Le niveau plus élevé de scolarité de la mère avantage-t-il les filles qui sont, dit-on, plus sensibles au langage? Est-ce que la mère passe plus de temps avec sa fille? Lui parle-t-elle plus souvent et plus longtemps? Les parents poussent-ils leur garçon à se dépenser davantage? Est-ce qu’ils jugent différemment le vocabulaire de leur fils et de leur fille? Voilà autant de questions sans réponses qui illustrent combien il est difficile de faire abstraction de l’acquis quand on étudie l’inné. Dominique Nancy |
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