Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 21 - 20 fÉvrier 2006
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 Archives de Forum

Les tests d’intelligence désavantagent les autistes

Grâce à des recherches avec une collaboratrice autiste, Laurent Mottron remet en question le mode d’évaluation du quotient intellectuel des autistes

Un exemple des matrices de Raven: parmi les figures du bas, laquelle devrait logiquement aller dans la case vide de l’ensemble du haut? Réponse au bas de la page.

Il est généralement reconnu que 75% des autistes souffrent de déficience intellectuelle, mais un tel chiffre «sort de nulle part», affirme Laurent Mottron, professeur au Département de psychiatrie. Ses travaux récents montrent que l’évaluation de l’intelligence des autistes peut varier sensiblement selon le type de test utilisé et selon l’âge du sujet.

Les données du Dr Mottron, psychiatre à l’hôpital Rivière-des-Prairies et chercheur au Fonds de la recherche en santé du Québec, remettent en question non seulement la manière dont on évalue le quotient intellectuel des autistes, mais aussi notre perception de ce trouble envahissant du développement.

La contribution d’une autiste à ses travaux, Michelle Dawson, a été déterminante dans sa nouvelle façon de voir l’autisme. Le chercheur présentait ses observations en fin de semaine dernière au congrès de l’American Association for the Advancement of Science à Saint Louis, aux États-Unis.

30 centiles de différence

En cherchant, pour les besoins de ses travaux, à apparier des enfants autistes et des non-autistes ayant le même quotient intellectuel, Laurent Mottron s’est aperçu que les résultats chez les autistes variaient considérablement selon qu’il employait comme outil les échelles de Wechsler ou les matrices de Raven.

Les échelles de Wechsler, composées de 11 sous-tests, requièrent des informations verbales de la part de l’expérimentateur même pour les opérations non verbales. Les matrices de Raven font appel à une haute capacité de raisonnement abstrait, ne demandent aucune instruction orale et ne recourent pas à la mémorisation (voir la figure à la page suivante). Chez les enfants non autistes, ces deux types de tests donnent des résultats comparables.

«Chez les autistes qui n’éprouvent pas de problème de langage, nous avons observé que les matrices de Raven évaluent constamment l’intelligence à 30 centiles au-dessus des échelles de Wechsler, signale Laurent Mottron. Cette différence équivaut à faire passer quelqu’un de la déficience intellectuelle légère à l’intelligence normale ou de l’intelligence normale à l’intelligence supérieure. Certains autistes non verbaux atteignent même des scores exceptionnels de 95 centiles – un niveau plus élevé que la moyenne des étudiants des universités – à des opérations qui nécessitent chez les enfants non autistes des aptitudes verbales, alors qu’ils sont désignés déficients moyens par les échelles de Wechsler. Ceci démontre que le cerveau des autistes résout facilement ces opérations sans recourir aux informations verbales, et que les matrices de Raven permettent d’évaluer plus correctement leur intelligence.»

Selon le chercheur, les autistes s’aideraient de perceptions visuelles là où les non-autistes se servent d’informations langagières.

Cette observation a des conséquences cliniques notables: en effet, un enfant qui obtient moins de 70 points de QI aux échelles de Wechsler – ce qui est le cas pour près de 75% des autistes selon la littérature – est considéré comme un déficient intellectuel et éduqué en conséquence. «Ceci conduit à dévaloriser nos performances en ne les jugeant pas comme de la vraie intelligence», souligne Michelle Dawson.

L’approche traditionnelle en clinique postule également que, si rien n’est fait pour corriger l’autisme, l’enfant va demeurer déficient. «C’est une légende, ajoute Mme Dawson. On veut nous rendre comme les autres alors que l’important n’est pas de mesurer le niveau mais la sorte d’intelligence.»

Une autre lacune mise en évidence par les travaux de Laurent Mottron est le fait que les tests d’intelligence chez les autistes sont souvent effectués vers l’âge de quatre ou cinq ans, alors que leur potentiel intellectuel n’est pas encore pleinement développé. «Cette façon de procéder peut entrainer une sous-estimation de l’intelligence, qui atteint sa pleine testabilité à six ans et parfois plus tard», note le psychiatre.

Le chercheur conclut qu’on ne peut pas établir de chiffre précis sur le degré d’intelligence chez les autistes dans les conditions où celle-ci est actuellement mesurée.

La mémoire de surface revisitée

Laurent Mottron est connu pour avoir élaboré le concept de «mémoire de surface», selon lequel la mémorisation chez les autistes se fait à partir d’éléments «superficiels» comme la sonorité d’un mot plutôt qu’à partir de son sens. D’après cette approche, les performances parfois phénoménales des autistes en musique, en mathématiques ou en dessin sont expliquées par des déficits dans les autres domaines. Ses derniers travaux amènent le psychiatre à reconsidérer cette vision des choses.

«L’enfant qui s’exprime par écholalie disant, lorsqu’il a soif, “Tu veux de l’eau, mon grand?” plutôt que “Je veux de l’eau” a recours à cette forme langagière dans le bon contexte. Il faut donc accepter le fait que les opérations cognitives sont différentes dans leur cas au lieu d’expliquer les pics par les déficits, ou de souligner le caractère “anormal” de l’écholalie.»

Selon le professeur Mottron, les matrices de Raven révèlent un potentiel d’apprentissage très élevé et les méthodes éducatives devraient être adaptées afin d’exploiter ce potentiel. Sa collaboratrice est un excellent exemple de ce qu’il avance. «Elle possède une capacité de mémorisation et de traitement de l’information prodigieuse, déclare-t-il. Elle sait tout sur les sciences cognitives et a tout appris par elle-même, plus rapidement que ne le font mes étudiants.»

Le professeur n’a pas hésité à lui faire cosigner une demi-douzaine de textes publiés dans les revues spécialisées tant son apport a été déterminant. «Elle regarde la logique de nos travaux et l’interroge sous un autre angle, à partir de sa propre perspective. Elle formule même des tâches à effectuer pour vérifier ses hypothèses.»

Une telle contribution ne fait pas nécessairement l’unanimité dans la communauté scientifique, mais Michelle Dawson a maintenant acquis une réputation internationale; il n’est pas rare que des chercheurs communiquent avec elle pour solliciter son avis. «Sa contribution scientifique est irremplaçable et l’Université de Montréal devrait un jour lui décerner un doctorat honorifique», estime le psychiatre.

Daniel Baril

Réponse: figure 1.

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