Volume 40 - numÉro 23 - 13 mars 2006 |
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73% des francophones ont des contacts avec les anglophonesLa séparation linguistique à l’école n’est pas un obstacle aux relations interlinguistiques
Au Québec, l’organisation du système scolaire en réseaux francophone et anglophone séparés ne fait pour ainsi dire place à aucun échange organisé entre les élèves de ces deux réseaux. Malgré tout, les contacts entre jeunes francophones et jeunes anglophones du secondaire sont très fréquents et positifs. C’est ce qui ressort d’une étude effectuée par Michel Pagé, professeur retraité du Département de psychologie et chercheur au Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM), et Benoit Côté, de l’Université de Sherbrooke. L’étude a porté sur 1109 élèves d’écoles des commissions scolaires francophones de la Pointe-de-l’Île et Marguerite-Bourgeoys, soit dans les secteurs est et ouest de Montréal. De ce nombre, 813 (73%) disent participer à des activités extrascolaires dans lesquelles ils sont en contact avec des anglophones de leur âge. Pour l’est de l’île, où la concentration d’anglophones est plus faible, le taux est tout de même de 60%. «Ces contacts ont lieu le plus souvent au cours d’activités sportives ou culturelles, fait remarquer Michel Pagé. Il peut s’agir d’activités mises en place par la Ville ou par des associations de loisirs, ou encore de rencontres sociales ou amicales organisées par les familles.» Le chercheur se dit surpris du grand nombre de contacts puisque les écoles ne font rien pour susciter ces échanges interlinguistiques. «La division des écoles selon la langue n’est pas un frein aux contacts entre les communautés linguistiques», en conclut-il. Contacts positifsL’étude révèle un autre élément qui étonne le chercheur: les contacts avec les anglophones sont perçus comme étant très positifs par les élèves concernés et ils influencent favorablement leur perception de l’autre groupe linguistique. «Les élèves qui participent à de telles activités n’ont pas fait mention de situations conflictuelles», souligne Michel Pagé. Il semble que le temps où francophones et anglophones se livraient des batailles rangées après quatre heures soit une époque révolue ou fasse partie des légendes urbaines. Chez les élèves en contact avec des anglophones, la compétition avec ces derniers est faible, la collaboration est élevée et ils cherchent un traitement égalitaire. Comparés aux élèves qui n’ont aucune activité de contact, ceux qui en ont font preuve de plus d’empathie, témoignent d’une meilleure estime de l’autre groupe, véhiculent moins de stéréotypes et utilisent plus souvent l’anglais dans la famille ou avec les amis. L’étude montre par ailleurs des différences selon qu’il s’agit de «francophones natifs» ou de francophones immigrants. Ces derniers s’identifient moins au groupe francophone que les natifs et ont une plus grande proximité psychologique avec les anglophones. Il aurait été intéressant de connaitre le point de vue des élèves anglophones qui participent à ces activités, ce qui n’a malheureusement pas été possible. «Ce volet faisait partie de notre projet, mais la Commission scolaire Lester B. Pearson ne nous a pas permis de questionner des élèves et ne nous a donné aucune raison», indique Michel Pagé. La théorie à l’épreuve des faitsUne seconde étude semblable a été réalisée auprès de cégépiens. À la différence des écoles secondaires, la fréquentation des mêmes établissements par les francophones et les anglophones est possible au collégial. En tenant compte de 21 variables, les chercheurs ont voulu construire un modèle de prédiction de la quantité et de la qualité des contacts avec des membres de l’autre groupe linguistique et tester la théorie des contacts intergroupes. «Cette théorie stipule qu’il ne suffit pas de mettre ensemble des personnes d’appartenances diverses pour que des rapports harmonieux s’établissent d’eux-mêmes, explique Michel Pagé. Le but commun n’est pas suffisant: pour assurer des rapports positifs, il faut mettre sur pied des activités de coopération et intervenir pour contrer le racisme.» Selon le chercheur, c’est la première fois qu’on teste cette théorie avec la langue comme facteur de division sociale. Les données préliminaires tendent à confirmer la théorie. Au moins deux facteurs influent sur la qualité de ces rapports, soit le sentiment de compétence dans l’autre langue et la catégorisation linguistique. Cette dernière expression désigne le fait de considérer que les personnes de langue maternelle différente constituent des groupes sociaux différents. La compétence linguistique ou bilinguisme a un effet positif important sur les rapports interlinguistiques; par contre, plus l’idée de catégorisation est forte, plus son incidence est négative sur de tels rapports. Considérant que l’acte de catégoriser les éléments et les personnes de son environnement est un processus cognitif naturel et essentiel à la connaissance, les deux chercheurs poursuivent leurs travaux pour observer si ces deux groupes présentent des différences psychocognitives dans leur processus de catégorisation. Les résultats de ces études étaient présentés au colloque du CEETUM sur la diversité linguistique à l’école et en société tenu les 16 et 17 février dernier. Daniel Baril |
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