Volume 40 - numÉro 24 - 20 mars 2006 |
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Condition masculine chez les SikhsLa modernisation a des effets bouleversants sur l’homme des communautés culturelles
Le système de soins québécois ne répond pas toujours adéquatement aux besoins des hommes en crise, comme l’a démontré il y a trois ans Gilles Rondeau, professeur à l’École de service social, dans un rapport qui avait fait grand bruit. La situation se complique encore quand ces hommes sont des immigrants ou de fervents religieux. «Ignorer le facteur culturel ou religieux, quand on est en face d’un musulman ou d’un juif, c’est passer à côté d’un volet fondamental de son identité. C’est lui envoyer le message qu’il n’est pas assez occidentalisé et sécularisé pour qu’on s’occupe de lui», mentionne Jean-François Roussel, professeur à la Faculté de théologie et de sciences des religions. En collaboration avec l’Institut interculturel de Montréal, le professeur Roussel a lancé cet hiver une série de séminaires intitulés Hommes, traditions culturelles et modernité, qui s’étend sur cinq mois. Chaque rencontre est axée sur une tradition culturelle différente. La première a porté sur l’aire sud-asiatique, avec les religions sikh et hindoue. On a pu y entendre, par exemple, deux spécialistes des études religieuses de l’Université McGill, Majit Singh et Sanjay Kumar, ainsi que Kalpana Das, de l’Institut interculturel. On y a fait le point sur des cultures méconnues ici. «Plusieurs participants ont été étonnés d’apprendre qu’un bon nombre d’hommes d’Asie du Sud n’aiment pas recevoir l’aide d’une personne qu’ils ne connaissent pas. Un lien d’amitié doit s’établir avant de penser à la relation d’aide.» La deuxième rencontre, le 24 mars, aura pour thème l’homme en Afrique noire. Le mois suivant, le 21 avril, on abordera l’aire arabo-musulmane; le 26 mai, l’aire juive. La série se terminera par l’aire amérindienne. Avant de se lancer dans cette aventure, Jean-François Roussel a tenté de mettre la main sur des recherches ayant pour objet la condition masculine hors d’Occident... en vain. «En général, les masculinités autres qu’occidentales brillent par leur absence et, quand elles sont mentionnées, dans la plupart des cas, c’est pour les stigmatiser en tant qu’oppressantes et arriérées», dit le texte d’introduction des séminaires. Il s’imposait donc d’amorcer «une écoute et un apprentissage sur les masculinités dans d’autres cultures et communautés». Pourquoi les hommes?Intéressé depuis près de 10 ans par les représentations culturelles de la masculinité et par la condition masculine dans le monde chrétien, M. Roussel a graduellement étendu son champ d’intérêt aux autres religions. Comment les hommes des cultures arabo-musulmane, juive, sikh, hindoue ou des sociétés autochtones vivent-ils la confrontation avec les mœurs et l’idéologie de la majorité québécoise? Ce sont certaines des questions que le théologien s’est posées. Pourquoi s’intéresser aux hommes? «Parce que la masculinité, lorsqu’elle se heurte à des remises en question, peut avoir des conséquences sur la santé, le travail, les relations avec les femmes, la paternité, la famille. Ces chocs culturels entrainent parfois la dépression, la toxicomanie, la violence», répond M. Roussel. À son avis, la santé de l’homme issu des communautés culturelles suscite des inquiétudes. «La modernisation a sur lui des effets bouleversants, fait-il observer. Ses relations avec ses enfants, avec les femmes, notamment, sont en redéfinition.» À défaut de pouvoir compter sur des intervenants qui cumuleraient des diplômes universitaires en psychologie, travail social, criminologie et anthropologie, le système communautaire est formé de travailleurs souvent bien intentionnés mais qui manquent d’outils pour interagir avec cette clientèle particulière. Le chercheur a pensé qu’il serait utile de stimuler des échanges entre les spécialistes de ces traditions culturelles et les intervenants sociaux. À la première rencontre, la plupart des participants provenaient des secteurs communautaire et de la santé. Plusieurs autres étaient des universitaires. Beaucoup à apprendrePour le Québécois moyen, les Arabes sont des musulmans et inversement. «Erreur, souligne Jean-François Roussel. La majorité des musulmans ne sont pas arabes. De plus, parmi les musulmans, il y a une multitude de groupes idéologiques fort éloignés les uns des autres. Il faut donc éviter de mettre tout le monde dans le même panier.» Par ailleurs, certaines embuches peuvent apparaitre et compliquer la relation entre l’intervenant et l’homme en difficulté. Pour un bon nombre d’hommes musulmans, il est par exemple inconcevable de discuter d’ennuis de santé ou de problèmes de couple avec une femme, fût-elle la meilleure médecin ou la meilleure psychologue du pays. Or, la plupart des médecins seront bientôt des femmes. Que faire? Sans prétendre apporter des réponses toutes faites, la série de rencontres veut «donner la parole aux hommes de ces différentes traditions culturelles», comme l’indique M. Roussel. «Ces rencontres ne visent pas à traiter de questions fort médiatisées comme le port du kirpan à l’école, mais à découvrir ce qui pose un problème aux communautés qui nous intéressent. Ces rendez-vous sont d’abord l’occasion d’écouter, puis de réagir bien sûr. Pour ma part, j’y joue un rôle d’intermédiaire entre les solitudes», ajoute le spécialiste. Les rencontres sont organisées dans le cadre d’une recherche subventionnée par le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture, recherche qui se penche sur la gestion publique de la diversité religieuse en contexte québécois. Membre de l’Équipe de recherche sur les réalités masculines du CRI-VIFF à titre de collaborateur, Jean-François Roussel prépare un livre sur la question. Mathieu-Robert Sauvé |
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