Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 24 - 20 mars 2006
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 Archives de Forum

capsule science

Faut-il s’inquiéter de l’usage militaire des centrales nucléaires civiles?

 

Depuis que l’Iran a annoncé son intention d’entamer un programme nucléaire, le printemps dernier, la communauté internationale s’inquiète de voir l’énergie nucléaire civile détournée à des fins militaires. Mais peut-on fabriquer une bombe atomique à partir d’une centrale électrique? «Oui, c’est possible, répond Greg Kennedy, chercheur en techniques nucléaires à l’École polytechnique de Montréal. L’Inde l’a fait dès les années 60 à partir d’un réacteur canadien CANDU.»

Pour mettre au point une bombe atomique, on peut utiliser du plutonium. Or, cet élément ne se trouve pas dans la nature; il résulte de la combustion de l’uranium. Pour l’obtenir, il faut bruler de l’uranium naturel (U238) dont environ un pour cent de la matière se transformera en plutonium. Selon M. Kennedy, une centrale nucléaire civile à pleine puissance (comme la centrale québécoise de Gentilly-2) peut produire assez de plutonium pour permettre la fabrication d’une bombe atomique en deux ou trois années d’activité. «La méthode est simple: il s’agit d’extraire le combustible du réacteur et de le plonger dans l’acide de façon à séparer l’uranium du plutonium. Après quoi, vous pouvez vous servir du plutonium pour fabriquer une ogive.»

Il existe une deuxième méthode, beaucoup plus couteuse et complexe, pour faire une bombe A. Elle consiste à utiliser de l’uranium hautement enrichi (U235). Mais pour l’enrichir, il faut une usine d’enrichissement comportant de nombreuses centrifugeuses sophistiquées, une technologie difficile à obtenir.

Les Américains, qui ont de bonne heure maitrisé les deux méthodes, ont doté leur arsenal militaire de plutonium et d’uranium hautement enrichi tout en employant l’énergie nucléaire à des fins civiles. Les États-Unis possèdent d’ailleurs, actuellement, des milliers de bombes atomiques dans leurs voutes. Autant que les Russes. Et plusieurs autres pays, signataires ou non du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, en ont accumulé de façon plus ou moins clandestine.

L’efficacité de l’uranium hautement enrichi (U235) est-elle supérieure à celle de l’uranium non enrichi (U238) converti en plutonium? «Pas nécessairement, dit le chercheur du Département de génie physique de Polytechnique. La bombe lancée sur Hiroshima avait été faite selon la première méthode; celle larguée sur Nagasaki, selon la seconde.»

A-t-on raison d’être préoccupé par la politique énergétique de l’Iran? «Oui, sans aucun doute, si l’Iran est notre ennemi, répond-il. Mais il ne faut pas s’alarmer inutilement. L’Inde et Israël possèdent des bombes atomiques et on ne les craint pas... Ici, c’est une question politique.»

Et qu’en est-il des «bombes sales» (dirty bombs) qui, en plus d’être chargées d’explosifs comme dans une bombe traditionnelle, possèderaient des substances radioactives capables de contaminer une région sur de longues périodes? «Une fumisterie, à mon avis. Les terroristes ont des moyens beaucoup plus simples de causer des dommages aux États-Unis ou ailleurs. Ils ne se donneront pas la peine de manipuler des substances radioactives.»

Actuellement, le Canada profite de la demande mondiale d’uranium grâce aux gisements de la Saskatchewan, qui en font un important producteur. Selon l’Association nucléaire canadienne, 24 centrales sont actuellement en construction dans le monde, 40 sont sur les tables à dessin et 73 à l’étude.

Greg Kennedy, qui travaille quotidiennement depuis 29 ans près d’un réacteur nucléaire destiné à la recherche, le SLOWPOKE, continue de croire au potentiel énergétique de cette filière et à son utilisation pacifique. «On peut se fier à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui a pour mandat de surveiller les pays signataires des traités de non-prolifération d’armes nucléaires. Comme on le voit actuellement, l’AIEA peut avoir besoin du Conseil de sécurité de l’ONU pour forcer certains pays à se conformer à ces traités.»

Depuis la fin de la guerre froide, trois traités de réduction des arsenaux militaires ont été signés par les États-Unis et la Russie (START 1 en 1991, START II en 1993 et SORT en 2002). Selon ces traités auxquels le Canada et une trentaine de pays ont adhéré, un plan de recyclage de la matière fissile présente dans les ogives militaires a été mis en place. Selon le Centre de l’information sur l’uranium, situé à Melbourne, en Australie, la moitié de l’uranium utilisé actuellement dans les 104 centrales américaines proviendrait de l’arsenal militaire nucléaire russe. Plus de 9000 ogives ont été converties pour produire de l’électricité dans les foyers américains. En France, on a accueilli en novembre dernier une partie des ogives américaines ainsi recyclées.

Le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, de Bruxelles, évalue les stocks d’uranium militaire à 500 tonnes du côté russe et à 200 tonnes du côté américain. «Leur transformation en combustible pour l’industrie nucléaire civile pourrait engendrer l’équivalent de 5600 térawattheures, ce qui représente 2,5 fois la production annuelle mondiale d’électricité», note le groupe dans un rapport paru en 2002. Pour des questions de cout, les 22 réacteurs canadiens (y compris celui de Gentilly-2) ne se servent pas de ce combustible recyclé et emploient uniquement de l’uranium non enrichi provenant du Canada.

Mathieu-Robert Sauvé

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