Volume 40 - numÉro 25 - 27 mars 2006 |
|
||
Agression sexuelle: comment aider l’enfant à parlerIl est primordial d’éviter la contamination des témoignages d’enfants présumés victimes d’agressions sexuelles
Les révélations de Nathalie Simard sur les agressions sexuelles qu’elle a subies durant son enfance continuent d’alimenter les médias et auraient déjà entrainé une hausse des cas rapportés aux policiers. Les cas dont on entend parler ne seraient toutefois que la pointe de l’iceberg puisque les spécialistes estiment, de façon prudente, que 1 fille sur 5 et 1 garçon sur 12 auraient été victimes de gestes à caractère sexuel non désirés avant l’âge de 18 ans. Si les révélations d’adultes peuvent être soumises à l’épreuve d’un interrogatoire serré, il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit de témoignages d’enfants. «Quand il n’y a pas de marques physiques de l’agression, ni de preuve médicale, ni de témoin, la seule façon de savoir ce qui s’est passé, c’est de faire parler l’enfant parce que l’agresseur, dans 80% des cas lorsque c’est le père, va nier les faits», indique la psychologue Jacinthe Dion. Mme Dion déposera dans quelques semaines au Département de psychologie sa thèse de doctorat sur les facteurs qui influencent la déclaration d’un enfant présumé victime d’une agression sexuelle. Son projet de recherche, qui lui a valu deux bourses du CRSH et du FCAR-CQRS, vient également de remporter la médaille d’or, dans la catégorie «sciences sociales», du Salon national de la recherche universitaire, organisé par la Fédération étudiante universitaire du Québec (voir l’encadré). Éviter la contaminationLa jeune chercheuse a défini cinq facteurs qui influent sur la déclaration de la victime: l’âge de l’enfant, ses habiletés verbales, le lien avec l’agresseur, les caractéristiques de l’agression et l’intervieweur. «Plus l’enfant est âgé, plus facilement il se confie et accepte de parler, signale-t-elle. Si l’agresseur est un parent, l’enfant a plus de réticences à se livrer que s’il s’agit d’un étranger, soit par peur de perdre ce parent ou par crainte de menaces. L’enfant aux prises avec des difficultés de langage sera pour sa part moins en mesure de fournir des détails.» Mais de tous les facteurs, c’est l’attitude de l’intervieweur qui semble la plus déterminante et c’est sur cet élément clé du processus qu’a porté la recherche de Jacinthe Dion. «Les questions suggestives des parents, des éducateurs ou de l’enquêteur risquent de contaminer le témoignage de l’enfant, affirme-t-elle. Il est important d’éviter ce biais dès qu’on remarque des signes d’une agression possible.» Selon la psychologue, il faut s’abstenir de poser des questions du genre «Est-ce que ton père t’a touché là?» parce que l’enfant aura tendance à donner la réponse qu’il croit que l’adulte veut avoir. Le père peut aussi l’avoir touché «là» sans que ce geste soit à caractère sexuel. L’un des moyens d’empêcher la contamination est de recourir à un protocole d’entrevue qui a fait ses preuves, soit celui du National Institute of Child Health and Human Development (NICHD). L’équipe de la professeure Mireille Cyr, directrice de thèse de Jacinthe Dion, en a réalisé une version française et donne une formation sur son usage destinée aux intervieweurs. Le protocole du NICHD vise au départ à gagner la confiance de l’enfant et à mesurer son niveau de langage en lui faisant raconter un fait qu’il a vécu récemment. On l’amène ensuite sur le sujet en lui demandant par exemple «Sais-tu pourquoi ta mère t’a conduit ici?» ou «Est-ce que quelqu’un t’a fait des choses que tu n’as pas aimées?» Une fois dans le sujet, l’intervieweur alterne avec des questions ouvertes comme «Dis-moi comment ça s’est passé» ou plus directives lorsqu’il s’agit de faire préciser un détail. L’effet du protocoleJacinthe Dion a comparé les résultats d’une cinquantaine d’investigations, mettant en cause des enfants âgés de 6 à 15 ans, dont la moitié ont été menées en respectant le protocole du NICHD. Elle a observé que la proportion de questions suggestives, de l’ordre de 13% dans une entrevue sans le protocole, passe à 6% lorsqu’on recourt au protocole; les questions directives passent de 44 à 29% et les questions ouvertes de 13 à 44%. Les questions ouvertes se révèlent le meilleur moyen d’amener l’enfant à donner plus de détails sur les personnes, les objets et les actions associés à l’expérience vécue. La moyenne des détails fournis par l’enfant passe de 180 sans le protocole à 280 avec le protocole. Les résultats sont encore plus marqués quand ce sont des enfants aux habiletés verbales faibles; dans leur cas, le nombre de détails est passé de 95 à 190. Retombées cliniquesPour la chercheuse, ces résultats présentent des retombées cliniques notables. «Nous connaissons maintenant mieux les facteurs qui ont une influence sur la déclaration d’un enfant liée à une agression sexuelle et nous avons des pistes qui nous indiquent la façon d’obtenir des allégations solides, étoffées et riches en détails, déclare-t-elle. Ceci est d’une importance majeure puisque la déclaration de l’enfant est bien souvent la seule preuve qu’une agression a eu lieu.» À la suite de cette recherche, elle souligne que des outils semblables au protocole du NICHD devraient être conçus spécialement pour les enfants en bas âge et pour ceux qui présentent certaines faiblesses sur le plan langagier. Daniel Baril |
Ce site a été optimisé pour les fureteurs Microsoft Internet Explorer, version 6.0 et ultérieures, et Netscape, version 6.0 et ultérieures.