Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 26 - 3 avril 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Sociologie: d’Émile Durkheim à Guy Rocher

Les retrouvailles ont permis de rassembler des anciens de trois «générations» du département de sociologie

Guy Rocher

Peu de professeurs, et encore moins de directeurs de département, ont publiquement soutenu la cause des étudiants en grève il y a deux ans. Arnaud Sales, directeur du Département de sociologie, l’a fait sans détour, acceptant même de paraitre à la une de Forum avec le petit carré de feutre rouge à la boutonnière.

Le Département de sociologie de l’Université de Montréal, c’est ça. Fondé le 5 mars 1955, il n’a jamais eu peur de plonger au cœur des débats sociaux, que cela plaise ou non à l’establishment. Les Denis Szabo, Jacques Henripin, Jacques Dofny, Marcel Rioux, Guy Rocher, Marcel Fournier et autres ont influencé plusieurs secteurs de la société québécoise, «qu’il s’agisse du système d’éducation ou de la formulation de la Charte de la langue française, du syndicalisme, du développement des sondages, du système de santé, de la francisation des entreprises, de l’immigration et des relations ethniques, des grands conseils de recherche, de l’environnement, des statistiques sociales», comme on peut le lire sur le site du Département.

Depuis sa création, le Département de sociologie a décerné 2496 diplômes de premier cycle, en plus de 460 diplômes de maitrise et 160 de doctorat. Bien que le cinquantenaire du Département soit déjà chose du passé (il a eu 51 ans le mois dernier), les festivités se poursuivent. Au cours d’une rare rencontre d’anciens («Nous, sociologues, sommes très peu portés sur les conventums», s’est excusé Marcel Fournier) le 23 mars, une vingtaine de diplômés ou d’anciens professeurs se sont remémorés quelques souvenirs. Sur le thème «Des pionniers à la relève», les retrouvailles ont permis de rassembler des anciens de trois «générations»: ceux des années 1955-1970, des années 1970-1985 et des années 1985-2000 (voir la page 5).

Rocher réhabilite Garigue

Guy Rocher a profité de l’occasion pour réhabiliter la mémoire d’un administrateur que plusieurs avaient apparemment pris en grippe: Robert Garigue, qui conserve à ce jour le record de longévité au poste de doyen. M. Garigue a en effet présidé aux destinées de la Faculté des sciences sociales de 1957 à 1972, année de la création de l’actuelle Faculté des arts et des sciences.

Considéré comme un pionnier de la politique familiale au Québec, ce politologue s’est beaucoup intéressé, comme chercheur, à la vie familiale des Canadiens français et à leurs systèmes de parenté. L’administrateur, quant à lui, était perçu comme un homme au tempérament bouillant et dont l’argumentation n’était pas toujours facile à suivre pour ses interlocuteurs. Les Fernand Dumont et Jean-Charles Falardeau, notamment, le trouvaient «primaire». «Mais il était efficace, a relaté Guy Rocher. Il a fait beaucoup pour la Faculté des sciences sociales.»

Quand M. Rocher était directeur du Département sous l’administration Garigue, il s’est fait reprocher d’avoir accepté sans mot dire des compressions budgétaires. «Votre passivité m’étonne et me désole, avait lancé le doyen aux directeurs bien intentionnés. Les compressions au budget, il faut s’y opposer!»

L’année suivante, lorsque le doyen Garigue annonça des réductions de dépenses, Guy Rocher, mieux avisé, les refusa net. Cela n’eut pas l’heur de plaire au doyen. «Pas question d’appliquer ces compressions», avait alors martelé M. Rocher. Son attitude conduisit Robert Garigue, furieux, jusque chez le recteur, qui maintint finalement les fonds pour le Département.

Guy Rocher se souvient également d’avoir obtenu une audience avec le cardinal Paul-Émile Léger, qui avait reproché au Département de ne pas enseigner la «doctrine sociale de l’Église».

«En socio, tu vas perdre la foi!»

Présent au conventum, le premier directeur du Département, Mgr Norbert Lacoste, a cité une pensée d’Aristote: «On ne connait bien que ce qu’on a vu naitre.» Ce prêtre recruté par l’Université de Montréal dès les années 50 est bien placé pour parler du Département de sociologie. Il a rappelé les défis consistant à élaborer des cours, recruter des professeurs et mettre en place toute une structure capable d’accueillir des étudiants de toutes provenances.

C’était avant la Révolution tranquille et Mgr Lacoste n’a pas renoncé à son col romain, 50 ans plus tard. Marcel Fournier avait causé tout un émoi, lui, lorsqu’il avait annoncé à un prêtre de sa famille qu’il allait choisir la sociologie. «Mon pauvre, vous allez perdre la foi», l’avait-il prévenu.

La foi en Dieu, M. Fournier ne l’avait déjà plus tellement, a-t-il confié. Mais sa foi en la sociologie n’a jamais chancelé. L’auteur de la monumentale biographie de Marcel Mauss, dont la traduction anglaise vient de paraitre aux Princeton University Press, a beaucoup contribué, lui aussi, à l’enseignement et à la recherche en sociologie. Il a participé, notamment, à la mise en place d’une des deux revues du Département: Sociologie et sociétés.

Trois illustres sociologues issus de la première génération de l’Université de Montréal ont également livré leur témoignage: Denis Szabo, Jacques Brazeau et Céline Saint-Pierre. D’autres, comme Louise Harel et Monique Bégin, n’ont pu prendre part à la rencontre en raison de leur horaire trop chargé.

Mathieu-Robert Sauvé

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