Volume 40 - numÉro 26 - 3 avril 2006 |
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François Tremblay se mouilleLes citoyens mobilisés autour de la protection des rivières ont su modifier leur stratégie afin de devenir plus efficaces
Le discours des opposants aux centrales hydroélectriques privées sur les rivières du Québec, souvent perçu comme étant uniquement motivé par le syndrome du «pas dans ma cour», a évolué au cours des dernières années pour devenir un véritable mouvement citoyen sensible aux questions d’équité sociale et intergénérationnelle relatives aux aspects environnementaux des rivières. Voilà du moins la thèse de François Tremblay, de la Faculté de l’aménagement, telle qu’il l’a défendue dans son doctorat. Sa recherche, intitulée «Le rôle stratégique des représentations sociales à caractère paysager dans le mouvement de récupération des rivières à des fins récréatives», rend compte de ce changement en mettant en scène le discours de différents acteurs concernés par le déploiement du récréotourisme d’eau vive sur la rivière Gatineau. Plus précisément, il a analysé le rapport de force entre deux groupes d’opposants, soit des citoyens mobilisés autour de la protection et de la mise en valeur de la rivière Gatineau par les activités en eau vive (canot, kayak, rafting) et des promoteurs privés et leurs partenaires locaux engagés dans plusieurs projets de barrages hydroélectriques d’une puissance allant de 15 à 40 mégawatts. «Mon étude avait pour but de comprendre le rôle des représentations sociales que les différents protagonistes ont de la rivière dans l’évolution du débat entre les usages récréatifs et le développement hydroélectrique», résume le chercheur qui travaille depuis 1996 comme agent de recherche à la Chaire en paysage et environnement de l’UdeM. En passant par les représentations et l’apprentissage sociaux, François Tremblay cherche à analyser les situations qu’on dit “bloquées” dans le domaine de la recherche en aménagement du territoire afin de mieux comprendre les antagonismes et de les conciler. Participation-actionPrivilégiant l’approche dite «participative», François Tremblay s’est joint au comité organisateur du Festival d’eau vive de la Haute-Gatineau et a pris part à plusieurs actions de promotion du récréotourisme, dont la mise en place des activités du Festival trois années durant. Le chercheur a ainsi accumulé les transcriptions d’une cinquantaine d’entrevues. Cet amateur de plein air, qui n’était jamais monté dans une barque, a profité de l’occasion pour découvrir le canot en eau vive et vivre des émotions fortes. «Depuis, j’ai une véritable passion pour ce sport, raconte le chercheur. Je possède aujourd’hui quatre embarcations qui vont du canot d’expédition au petit “solo” pour surfer.» Aussi souvent que possible, il profite des joies qu’offre la vallée de la Gatineau, un territoire parsemé de plus de 3200 lacs et de dizaines de rivières, dont la rivière Gatineau. À en croire M. Tremblay, la splendeur des panoramas de la rivière Gatineau, qui a pour père adoptif le comédien Roy Dupuis, rend le site tout désigné pour un festival de sports d’eau vive et les instigateurs du projet ont justement lancé l’évènement pour préserver cette beauté menacée. «Le paysage est un élément esthétique, indique François Tremblay. Par le regard qu’on pose sur le paysage, on peut percevoir des valeurs politiques, culturelles et sociales. C’est justement ce qui m’intéresse.» Selon lui, «c’est le changement profond du mouvement environnementaliste vers un environnementalisme citoyen qui a permis de faire localement ce que l’opération “Adoptez une rivière” a fait à l’échelle du Québec: infléchir la politique gouvernementale d’attribution des forces hydrauliques à des promoteurs privés.» Le retrait de cette politique a été présenté par les médias comme le résultat du travail des organisateurs de l’opération «Adoptez une rivière», des initiateurs de la Fondation Rivières, des membres de la coalition «Eau secours!» et de la cinquantaine d’artistes et de personnalités qui ont appuyé le projet, souligne-t-il. «Pourtant, dans le cas de plusieurs rivières, les acteurs nationaux ont surtout réussi à remobiliser et à appuyer des intervenants locaux qui étaient déjà actifs dans la protection des rivières», dit le chercheur. Radicalisme et pragmatismePour M. Tremblay, il est clair que cette victoire s’explique entre autres par le type particulier de radicalisation des acteurs. Il y aurait une grande part d’idéologie dans le radicalisme de certains protagonistes nationaux comme la Fondation Rivières ou l’opération «Adoptez une rivière» comparativement au radicalisme pragmatique des acteurs du Festival d’eau vive. «Le radicalisme pragmatique se distingue du radicalisme idéologique en ce que certaines revendications sont plus conciliantes, moins intraitables, soutient le chercheur. Il se distingue aussi par sa capacité à proposer un véritable projet sociétal.» Le dénouement temporaire du conflit entre les acteurs engagés dans la protection des rivières et les promoteurs privés des projets de petites centrales, en novembre 2002, correspond au moment où le chercheur a entrepris la rédaction de sa thèse. S’inquiète-t-il des récentes déclarations du nouveau ministre du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, Raymond Bachand, quant au développement hydroélectrique? «Oui et non, répond François Tremblay. Le discours de M. Bachand n’est pas nouveau pour les groupes de citoyens, en région, qui ont appris à vivre avec de tels propos depuis le début des années 90. Avant lui, c’était Mme Bacon, M. Brassard et M. Chevrette. Les regroupements de citoyens désireux de favoriser un développement durable qui passe par la conservation et la mise en valeur de leurs sites naturels sont sur un pied de guerre depuis longtemps.» Dominique Nancy
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