Volume 40 - numÉro 28 - 18 avril 2006 |
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Le stress au travail: il faut y voir!Le psychiatre Serge Marquis a sensibilisé l’auditoire à la nécessité de s’arrêter et de réfléchir à la notion d’équilibre entre le travail et la vie personnelle
Tout en parlant au téléphone avec un professeur, Marie ne peut s’empêcher de lire les courriels qui apparaissent à l’écran de son ordinateur. Elle en est à sa énième tasse de café et sa jambe gauche s’agite nerveusement sous le bureau. Pendant qu’elle tente d’effectuer plusieurs tâches en même temps, elle oublie le rendez-vous que sa messagerie Outlook lui a pourtant signalé il y a 15 minutes. Des employés qui vivent de telles situations au travail, qui passent leur temps à éteindre des feux sans avoir l’impression d’accomplir quoi que ce soit de productif, le psychiatre Serge Marquis en rencontre de plus en plus souvent dans son cabinet. «Une accélération phénoménale des rythmes de production a créé une sollicitation jamais vue dans l’histoire de l’humanité, a-t-il expliqué à Forum. L’excellence, la performance et la réussite à tout prix orientent maintenant la manière dont nos quotidiens sont organisés. Le rapport avec le temps s’est totalement modifié et la réaction de stress n’en finit plus d’être déclenchée. Si bien que, lorsqu’ils se présentent à moi, les gens se disent littéralement brulés.» Spécialiste en santé communautaire et en santé au travail, Serge Marquis était le conférencier invité de la Direction des ressources humaines et du Comité mixte de perfectionnement de l’ACPUM le 6 avril. Aux employés rassemblés à l’auditorium 1140 du pavillon André-Aisenstadt, le Dr Marquis a donné des conseils pour reprendre du pouvoir sur leur vie. Les quelque 150 personnes venues l’entendre ont également pu se dilater la rate, comme en témoigne France Pérusse. «J’ai ri du début à la fin, dit l’agente de recrutement de la Direction des communications et du recrutement. On se reconnait tellement dans les exemples qu’ils citent que ça fait un peu peur.» Avec l’ingénieuse verve qu’on lui connait (le Dr Marquis a déjà présenté une conférence à l’UdeM en 2001), le psychiatre a sensibilisé l’auditoire à la nécessité de s’arrêter et de réfléchir à la notion d’équilibre entre le travail et la vie personnelle. À son avis, il y a trois bonnes raisons à cela: prévenir les problèmes de santé, reprendre le pouvoir sur sa vie et retrouver une dignité humaine. «Si vous éprouvez un inconfort ou une insatisfaction au travail ou dans votre vie personnelle, la pire chose est de ne rien faire et de penser que tout va s’arranger avec le temps, a déclaré le conférencier.» «Conscience» et «vigilance»Souvent décrit comme le médecin de famille des organisations, le Dr Marquis s’intéresse depuis plus de 20 ans au stress et à l’épuisement professionnel. À titre de consultant, le psychiatre se rend régulièrement dans les entreprises pour aider les membres du personnel à redécouvrir les sources de plaisir dans leur travail. «Le truc, dit-il, c’est d’apprendre à ralentir notre pensée, notre discours et nos actions. Car, comme le signale l’astrophysicien Hubert Reeves, notre efficacité risque de nous détruire.» Selon le coauteur de Bienvenue parmi les humains, paru en 1998 aux Éditions Tortue, la technologie a modifié radicalement notre relation avec le temps. Un temps d’attente qui nous semblait acceptable il y a seulement quelques années devient de plus en plus difficile à supporter. Il prend pour preuve notre agressivité vis-à-vis de la lenteur des ascenseurs et des feux de circulation. «J’en ai fait l’expérience: un feu rouge nous immobilise en moyenne 30 secondes. Trente petites secondes qui nous font nous mettre en colère et pomper notre cœur.» Question de réapprivoiser le temps, le Dr Marquis s’arrête maintenant aux feux jaunes! Le psychiatre utilise deux mots pour expliquer comment on peut rendre notre rapport avec le temps plus harmonieux: «conscience» et «vigilance». «Il faut prendre conscience des gestes qu’on fait et demeurer vigilants pour éviter de tomber dans le piège de vouloir tout, tout de suite, fait-il remarquer. Cette façon de voir les choses vaut d’ailleurs pour les moindres détails de la vie. Je me trouve dans un bouchon de circulation à l’heure de pointe. Qu’est-ce que ça me donne de m’énerver? Les choses n’iront pas plus vite.» Un autre piège qu’il faut déjouer: croire que la vie ne vaut la peine d’être vécue que dans l’extraordinaire alors que le bonheur se trouve dans le quotidien. On en vient à oublier de se laisser aller à la vie et à accomplir des gestes machinalement, sans amabilité ni présence attentive. «Un phénomène d’usure s’installe alors avec nos proches mais aussi avec nos collègues de travail; une diminution de la vigilance; une diminution de la conscience. Vous savez, l’usure, ça parait drôle comme ça, mais ce n’est pas banal parce que, pour qu’il y ait reconnaissance, il faut qu’il y ait vigilance, il faut qu’il y ait attention, et le danger, c’est de glisser tranquillement dans ce phénomène d’usure», prévient le Dr Marquis. Ne pas oublier de profiter de la vieRappelant que pour la majorité d’entre nous la qualité des interactions joue un grand rôle dans le plaisir au travail, le médecin a insisté sur la nécessité de redonner de l’importance aux petits gestes de tous les jours pour enfin retrouver un équilibre dans notre vie. Il a également donné des pistes pour s’assurer que sa vie vaille la peine d’être vécue. Ces pistes, tirées de la grille de Stephan Covey, se résument en quatre mots: vivre, aimer, transmettre et apprendre. Convaincu que si l’on apprenait à mieux intégrer cet état d’esprit dans nos vies il en couterait moins cher au système de santé, le conférencier a souligné que notre attitude à l’égard du travail a connu un changement radical en quelques décennies. «Au début du siècle, la plupart des gens gagnaient leur vie en se servant presque essentiellement de leur corps. Ce qui était valorisé à cette époque, c’était la force physique. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Les hommes et les femmes gagnent leur vie en utilisant presque uniquement leur tête ou en pensant que c’est ce qu’ils font!» À son avis, ce changement a entrainé des effets sur notre construction identitaire. Résultat? Beaucoup trop de personnes de nos jours s’identifient à leur seul métier. «Avant, on s’en remettait plus facilement à des valeurs comme la famille, mais depuis quelques dizaines d’années, on donne au travail une place prépondérante, estime le psychiatre. À cette valeur croissante accordée au travail s’ajoute l’impératif de la rapidité pour gagner en efficacité.» Or, d’après le Dr Marquis, cette vitesse de croisière en accéléré et cette obligation constante de productivité engendrent toutes sortes de problèmes physiques et psychiques ainsi que des difficultés relationnelles. Mais le plus grand danger, indique-t-il, est de ne pas profiter de la vie. Dans de telles conditions, il n’est pas étonnant que l’épuisement professionnel et la dépression soient à la hausse dans nos sociétés modernes, selon lui. Dominique Nancy |
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