Volume 40 - numÉro 29 - 1er mai 2006 |
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L’ouvrage Da Vinci Code soulève des questions légitimesL’emballement pour cette œuvre de fiction montre que la société rejette le dogme officiel, estime ietro Boglioni
Avec plus de 40 millions d’exemplaires vendus et des traductions dans 45 langues, le roman de Dan Brown Da Vinci Code est un véritable phénomène de société. Les livres de «décodage» qui lui sont consacrés se comptent maintenant par dizaines, en plus des rééditions d’ouvrages portant sur des thèmes connexes comme les Templiers, l’Opus Dei, l’énigme de Rennes-le-Château et autres faux mystères. Et ce n’est pas fini puisque le film tiré du roman relancera le débat dans 15 jours. «Da Vinci Code est un Harry Potter pour adultes, mais qui pose de vraies questions», résume Pietro Boglioni, spécialiste de l’histoire du catholicisme au Département d’histoire. Lui-même a donné une quarantaine de conférences et d’entrevues sur le sujet. Exploiter le mystèreLe professeur Boglioni n’est pas étonné du succès du roman. «L’auteur a habilement exploité trois pistes, souligne-t-il. Il a produit un thrilleur sur un fond de mystère et d’inconnu qui attise la curiosité, comme la sorcellerie, le Graal et les Templiers; il présente une interprétation féministe du christianisme, un courant très fort aux États-Unis; il donne dans l’antipapisme en présentant le Vatican comme une institution toute-puissante qui a des choses à cacher. Le tout alimente la culture du complot et laisse croire qu’on nous cache la vérité.» M. Boglioni distingue deux catégories d’éléments historiques mis en scène par le romancier: ceux qui appartiennent à l’industrie romanesque des faux mystères et ceux qui relèvent d’un pluralisme d’interprétations des faits entourant la vie de Jésus de Nazareth. L’ensemble du roman repose en fait sur la première catégorie d’éléments, qui exploitent le mystère. Dan Brown a construit Da Vinci Code selon le même procédé que son roman précédent, Anges et démons, un titre qui parle de lui-même. Le romancier a également puisé abondamment dans The Holy Blood and the Holy Grail. «Les auteurs de cet ouvrage, qui se présentent comme des spécialistes des sociétés secrètes, ont poursuivi Brown pour plagiat, rappelle le professeur. Mais comment des historiens peuvent-ils poursuivre un romancier pour plagiat? Ce faisant, ils reconnaissent que leur livre était un roman!» Côté histoire, Dan Brown se tire dans le pied dès la première ligne du volume en affirmant, parmi les faits supposés historiques, que le Prieuré de Sion a été fondé en 1099. Cette fausse société secrète est sortie tout droit de l’imagination d’un mystificateur réputé, le Français Pierre Plantard, qui a reconnu la fausseté de ses documents devant la cour en 1992. Pourtant, la première édition de Da Vinci Code est parue en 2003. «Brown utilise un procédé romanesque consistant à faire croire qu’il s’agit d’un roman sur fond historique, mais c’est une arnaque farfelue, déclare Pietro Boglioni. Il s’agit plutôt d’éléments d’histoire introduits dans un roman.» La fin des dogmesLes éléments relatifs à un rôle plus important des femmes dans le christianisme de la première heure lui paraissent mieux fondés. Les titres de volumes sur cette thématique donnés dans le roman sont authentiques. L’idée que Jésus était marié avec Marie-Madeleine, par exemple, vient d’une interprétation de l’Évangile de Philippe, où Marie-Madeleine est désignée comme «compagne» de Jésus, ce qui signifie «épouse» selon certains traducteurs. Rejetant cette interprétation, l’historien estime toutefois que «le rôle des femmes était peut-être plus grand que ce qu’en dit l’Église catholique. Tout montre qu’il y avait un groupe de femmes qui suivaient Jésus. Les Évangiles ne sont pas uniformes, il y a des variantes et il faut l’admettre.» Selon le professeur Boglioni, la persistance, de la part de l’Église catholique, à maintenir une interprétation unique présentée comme la seule vérité est l’un des éléments qui font le succès de Da Vinci Code. «La société est prête pour le doute religieux, dit-il. Les gens remettent en question les visions simplistes et comprennent que les choses ne se sont pas nécessairement passées comme on nous les présente.» Un site Internet de la Conférence des évêques catholiques américains en réponse au roman ne fait que répéter la version officielle de l’Église. Face au doute, «lorsque des explications alternatives surgissent, les gens s’en emparent, poursuit le professeur. C’est ce que fait Brown devant une vision trop dogmatique. L’Église joue son jeu en disant: “Nous allons vous dire comment ça s’est déroulé.” En se fermant au dialogue, elle ne convainc pas ceux qui sont intrigués.» Le fait que les exégètes ne réussissent pas à désamorcer les fausses histoires pose un problème à l’historien Pietro Boglioni. À son avis, les spécialistes des écrits bibliques en savent plus sur les origines du christianisme que ce qu’ils acceptent de dire. Il ne serait pas impossible, pense-t-il, que Jésus ait été marié et que les femmes aient été écartées plus tard des postes de commande. En évitant ces questions, on laisse planer l’idée du secret. L’Opus Dei, mis en cause dans le roman, évite lui aussi les remises en question. «L’Opus Dei est présenté de façon caricaturale et sa défense est légitime, soutient l’historien. Mais sur leur site Internet, les responsables passent sous silence la vraie polémique entourant les accusations de sectarisme. On pourrait penser que l’Opus Dei profite de la vague pour se faire de la publicité.» L’auteur du roman défend-il une thèse ou n’a-t-il fait qu’agencer des éléments qui se sont avérés une recette gagnante? «S’il y a une thèse, c’est que l’homme est obligé de trouver sa vérité, répond Pietro Boglioni. Ceci est dit en toutes lettres et l’auteur affirme lui-même avoir voulu donner une autre version de l’histoire officielle.» Daniel Baril |
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