Volume 41 - numÉro 1 - 28 août 2006
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«Il n’existe pas de module de Dieu dans le cerveau»Les travaux de Mario Beauregard auprès de carmélites montrent que les zones neuronales activées pendant l’«état mystique» ne sont pas propres au spirituel
«Dieu habite le cerveau droit», titrait il y a quelque temps une revue française de vulgarisation scientifique. En fait, on devrait plutôt dire, comme l’enseignait le petit catéchisme, que Dieu est partout. Les récents travaux de Mario Beauregard, professeur au Département de psychologie, réalisés auprès de carmélites en état de «communion avec Dieu», montrent en effet qu’au moins une douzaine de régions couvrant les principales zones du cerveau sont activées lors de l’expérience mystique. Ce type de recherche est devenu très populaire aux États-Unis. Une des études les plus connues, menée à la fin des années 90 avec des méditants bouddhistes, avait notamment révélé qu’en état de méditation profonde le système limbique (siège des émotions) était suractivé alors que les lobes temporal et pariétal droits (siège de la conscience de soi et des limites du corps) étaient inhibés. De cet état découlerait le sentiment océanique de fusion avec le «tout». D’autres travaux ont montré que des expériences mystiques pouvaient être induites par des stimulations ou des lésions aux lobes temporaux. On a alors commencé à parler d’un «module de Dieu» pour désigner les zones neuronales liées aux états spirituels. On ne commande pas à DieuLe protocole mis au point par Mario Beauregard demandait aux religieuses de revivre ou de se remémorer leur expérience mystique la plus intense vécue en tant que contemplatives. «J’ai dû procéder ainsi parce que les carmélites m’ont dit qu’un tel état relève de la “grâce de Dieu” et qu’on ne pouvait pas “commander à Dieu”», souligne-t-il. Il leur a également demandé de revivre l’état d’union le plus intense ressenti avec une autre personne afin de pouvoir comparer l’état mystique avec une situation témoin. Cette façon de faire lui est apparue justifiée puisque des travaux antérieurs ont démontré que l’activité cérébrale d’acteurs qui se placent dans des états émotifs particuliers est semblable à celle des personnes qui éprouvent réellement ces émotions. Le professeur a eu d’énormes difficultés à convaincre ces religieuses cloitrées de sortir de leur monastère pour prêter leur corps à la science. «Vous ne trouverez pas Dieu dans le cerveau», ont-elles objecté. Il a même dû faire appel au cardinal Jean-Claude Turcotte et étendre son recrutement à l’Ontario et aux États-Unis. Une quinzaine de religieuses ont fini par accepter de prendre part à l’expérience. Mais pourquoi rechercher la participation des carmélites à tout prix? «Parce que, depuis sainte Thérèse d’Ávila, cet ordre a une tradition orientée vers le mysticisme et qu’elles ont une pratique en ce sens», répond Mario Beauregard. L’état mystique est décrit subjectivement comme le contact avec le fondement ultime de la réalité, une expérience hors du temps et de l’espace, un sentiment d’union avec l’humanité et avec l’univers accompagné d’émotions positives de paix, de joie et d’amour inconditionnel. Activation accrueL’électroencéphalogramme a montré que l’état dans lequel se plongeaient les religieuses était accompagné d’ondes lentes thêtas et deltas respectivement et normalement associées aux périodes de l’endormissement et du sommeil profond. «Ceci nous prouve que les religieuses ne simulaient pas leur état», souligne le chercheur. L’imagerie cérébrale a pour sa part mis au jour une activation plus importante dans de nombreuses régions lors de l’état mystique en comparaison de l’état témoin. Plusieurs de ces régions, dont le lobe orbitofrontal droit, le cortex insulaire et le cortex cingulaire antérieur, sont liées au système limbique. Une activité plus intense a également été observée dans le cortex préfrontal gauche, le lobe pariétal inférieur gauche, le noyau caudé (noyau central) de même que le cortex visuel pour ne nommer que ceux-là. Contrairement à l’étude effectuée auprès des méditants bouddhistes, aucune inhibition particulière n’a été notée; certaines régions des lobes temporal et pariétal droits sont même apparues plus actives qu’au repos. «Chez les carmélites, l’expérience d’union avec Dieu n’est pas associée uniquement au lobe temporal; l’expérience est soutenue par plusieurs régions et systèmes cérébraux, et ces centres ne sont pas propres à la spiritualité. Il n’y a pas de “module de Dieu” dans le cerveau», déclare le professeur. Dans un article à paraitre dans le numéro de Neuroscience Letters du 25 septembre, cosigné par le doctorant Vincent Paquette, le professeur Beauregard décrit le rôle possible joué par chacun de ces centres dans l’expérience spirituelle. «Les régions cérébrales désignées concernent la conscience de soi et les aspects physiologique et expérientiel des émotions, une altération du sens spatial de soi ainsi que l’imagerie mentale de type visuel», résume-t-il. L’activation du cortex préfrontal droit et du cortex pariétal pourrait expliquer, par exemple, pourquoi l’impression ressentie est une impression de «contact» plutôt que de fusion. Le noyau caudé et le cortex insulaire sont quant à eux associés aux sentiments de joie et d’amour, des émotions ressenties intensément lors des situations revécues. Pas de lien causal«Les corrélats neurologiques de l’expérience mystique ne signifient pas qu’il existe une relation causale, tient par ailleurs à préciser le chercheur. Ce type de recherche ne permet ni de confirmer ni d’infirmer la réalité externe de Dieu.» Mario Beauregard demeure d’ailleurs ouvert à la possibilité que l’expérience dite mystique soit une expérience réelle de contact avec une entité surnaturelle, voire avec Dieu lui-même. Sa croyance est fondée sur ses propres expériences ainsi que sur des témoignages de personnes ayant vécu des situations de mort imminente ou de mort clinique. Le chercheur poursuit ses travaux en imagerie cérébrale avec de tels sujets qui ont été, pendant quelques instants, déclarés cliniquement morts et qui sont capables de se replacer dans l’état émotionnel alors ressenti. L’objectif est de voir si ces états présentent des similitudes avec ceux de l’expérience spirituelle des carmélites. Daniel Baril |
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