Volume 41 - numÉro 3 - 11 septembre 2006
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Les relations amoureuses perturbent les adolescentsUne étudiante en psychologie consacre son doctorat à cette question
L’implication amoureuse intense et les relations sexuelles précoces chez les adolescents sont associées à plus de comportements déviants. Cela peut se traduire par des problèmes de conduite (sortir une nuit complète sans permission, par exemple, ou encore voler, porter une arme, consommer ou vendre de la drogue) ou par des symptômes dépressifs (perte d’appétit, pleurs, fatigue, etc.). Voilà ce que concluent des recherches menées aux États-Unis par des spécialistes du développement de l’enfance. Une étudiante du Département de psychologie de l’Université, Amélie Benoit, consacre sa thèse de doctorat à cette question en l’approfondissant davantage. «Les études se sont beaucoup penchées sur les relations sexuelles des adolescents, observe-t-elle. Moi, je veux vérifier si d’autres patrons amoureux correspondent à cette dynamique. Ainsi, les adolescents amoureux mais qui n’ont pas de relations sexuelles connaissent-ils des parcours similaires?» Pour obtenir des réponses à ses questions, la doctorante n’aura pas à effectuer elle-même des entrevues. Elle analysera l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ), un sondage pancanadien biennal qui donne accès à une mine d’informations sur le cheminement des jeunes. «J’ai repéré une cohorte d’environ 2000 adolescents canadiens dont on connait la trajectoire sur près de 10 ans», remarque Amélie Benoit, qui a choisi de se concentrer sur les relations hétérosexuelles. Le jeune, qui remplit seul la partie du questionnaire relative aux relations amoureuses et sexuelles («Personne, à la maison ou à l’école, ne verra tes réponses», spécifie-t-on), livre une partie très intime de lui-même. «À quel âge as-tu eu ton premier chum ou ta première blonde?» «Au cours des 12 derniers mois, combien de chums ou de blondes as-tu eus?» «À quel âge as-tu eu tes premières relations sexuelles?» «Quelle est la raison principale pour laquelle tu n’as pas de relations sexuelles actuellement?» Voilà quelques-unes des 11 questions posées aux jeunes dans cette section de l’ELNEJ. Les données d’Amélie Benoit concernent un groupe d’adolescents âgés de 14 et 15 ans en 1999 et qu’elle suit jusqu’à l’âge de 18 et 19 ans en 2003. La chercheuse pourra connaitre, grâce à d’autres parties du questionnaire, les comportements qui posent problème. Les filles paient le prixIl semble bien, selon les connaissances actuelles, que les filles paient cher la précocité des relations sexuelles. Les résultats d’une étude publiés l’an dernier dans le Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry par des chercheurs de l’Université Yale mentionnent par exemple que les filles actives sexuellement avant l’âge de 16 ans souffrent davantage de symptômes dépressifs, ont plus de problèmes scolaires et moins de motivation à l’école que celles qui n’ont pas encore fait l’amour. L’âge du premier rapport sexuel est actuellement de 16,5 ans en moyenne au Canada, tant pour les filles que pour les garçons, selon l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2003. Celle-ci précise que «l’âge moyen lors de la première relation sexuelle diminue constamment». Deux ans plus tôt, l’âge moyen était de 16,9 ans. À quoi attribuer ces variations? Certains mentionnent que la diminution de l’âge de la puberté pourrait être en cause. Il est vrai que l’âge de la puberté tend à s’abaisser depuis un siècle. Chez les filles, l’âge moyen du début de la puberté est de 12,5 ans. La précocité de la première relation sexuelle serait attribuable à l’évolution des normes et attitudes sociales en matière de sexualité. Dans un autre ordre d’idées, lorsqu’on examine la maturation pubertaire des adolescentes, des résultats d’études indiquent que les filles pubères précocement seraient plus à risque de vivre des problèmes d’adaptation et de présenter des comportements à risque, comparativement à leurs pairs. Amélie Benoit ne croit pas que l’hypersexualisation des filles soit un problème aussi alarmant que les médias le laissent entendre. «Oui, c’est un phénomène inquiétant, mais il ne faut pas le généraliser. Selon l’ELNEJ, moins de 13% des jeunes déclarent avoir eu des relations sexuelles à l’âge de 15 ans. Tous les jeunes ne sont donc pas si pressés de vivre leur premier rapport sexuel.»
Les premiers frissons chez les adolescents ne sont pas forcément synonymes de problèmes. «L’amour n’a pas été suffisamment étudié, lance l’apprentie psychologue. De nombreux jeunes qui ont une amoureuse ou un amoureux, avec ou sans relations sexuelles, ne vivent pas de problèmes d’adaptation psychosociale particuliers et réussissent bien à l’école. Ma recherche devrait permettre de nous éclairer un peu sur ce sujet.» L’amour ne fait pas que des ravages. Une étude réalisée en 2000 dans l’État de New York par Patrick Davies et Michael Windel révèle que les jeunes qui entament une première relation amoureuse évoluant vers une certaine stabilité présentent moins de symptômes dépressifs et de cas de délinquance mineure que la moyenne. Toutefois, les problèmes apparaissent quand le nombre de partenaires augmente. Arguments pour les puritainsDe façon générale, les résultats des travaux d’Amélie Benoit pourraient fournir des arguments aux traditionalistes qui pensent que l’abstinence avant le mariage est un gage de vertu et de succès. «Peut-être, mais ce n’est pas mon but, dit-elle d’un ton calme. J’espère faire évoluer les connaissances sur l’adolescence de façon qu’on puisse intervenir plus adéquatement auprès des jeunes.» Sous la direction des psychologues Michel Claes, du Laboratoire sur le développement psychosocial des adolescents, et Éric Lacourse, l’étude de Mme Benoit pourrait permettre de mieux comprendre les expériences amoureuses et sexuelles des adolescents. Cette information pourrait s’avérer utile dans les campagnes destinées à prévenir les problèmes liés à la sexualité: maladies transmises sexuellement, grossesses non désirées, etc. «Il ne s’agit pas de dire aux intervenants engagés auprès des jeunes de promouvoir l’abstinence, simplement de leur faire comprendre que rien ne presse quant à la première relation.» Pour la jeune femme, l’adolescence est un moment passionnant de la vie que la psychologie n’a pas fini d’explorer. «On dit que les adolescents ne sont pas faciles, pourtant, quand on établit avec eux un lien de confiance, ils sont très touchants.» Oui, l’ado typique est une grande asperge affalée dans son fauteuil, dégageant les premiers effluves de transpiration, avec des cheveux trop longs et des pantalons trop grands. Oui, plusieurs jeunes vivent des difficultés scolaires et ont des relations tendues avec leurs parents. «Mais n’oublions pas que 80% d’entre eux fonctionnent bien et n’ont pas de problème majeur», rappelle l’étudiante, qui a travaillé auprès des adolescents à l’occasion d’un stage en psychologie clinique. Tout en poursuivant sa scolarité de doctorat, Amélie Benoit a récemment entamé le véritable travail de recherche et d’analyse. Elle poursuit également son stage de thérapeute à la Clinique universitaire de psychologie, à raison d’une vingtaine d’heures par semaine. Si tout va bien, elle déposera sa thèse dans trois ans. Mathieu-Robert Sauvé |
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