Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 4 - 18 septembre 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

L’orpin rose aurait des propriétés médicinales

L’ethnobotaniste Alain Cuerrier étudie le savoir botanique des Inuits

orpin rose (Rhodiola rosea)

Pour l’œil non avisé, l’orpin rose (Rhodiola rosea) est une plante semblable à toutes les autres, si ce n’est qu’il ne pousse que dans des régions éloignées. Avec sa tige émergeant d’un rhizome comparable à la racine du gingembre, ses feuilles étagées et ses fleurs timides qui apparaissent à la fin de l’été, il rappelle vaguement les plantes d’intérieur les plus communes.

Erreur. Grave erreur. L’orpin rose est une des vedettes montantes de la phytothérapie. Le site À fleur de Pau, par exemple (www.afleurdepau.com), le présente comme le «nouveau ginseng» en raison de ses propriétés médicinales exceptionnelles. En infusion ou en gélule, cette plante aurait un effet cardioprotecteur, préviendrait le mal des montagnes, stimulerait l’humeur, renforcerait l’activité du système immunitaire, etc. «En Russie, la plante a suscité un tel engouement qu’elle a failli disparaitre», signale le botaniste Alain Cuerrier, chercheur à l’Institut de recherche en biologie végétale de l’UdeM.

Au cours des dernières années, grâce à la contribution de l’Institut culturel Avataq, de l’Administration régionale Kativik et de la société de développement Makivik, Alain Cuerrier s’est rendu de multiples fois dans le Grand Nord québécois pour étudier le «savoir botanique» des communautés amérindiennes. Sa façon de faire relève des méthodes employées en ethnologie. Avec l’aide d’un interprète, il présente à un ainé des plantes qu’il a récoltées autour du village. Puis il note ses commentaires. «Certaines ne lui disent rien, relate le chercheur. Mais aussitôt qu’il reconnait une plante dotée d’une propriété particulière dans la tradition orale, ses yeux s’allument et il nous confie ce qu’il sait à son sujet.»

L’orpin rose, que les ainés de Kangirsualujjuaq (village côtier de l’est de la baie d’Ungava) n’ont eu aucun mal à nommer, est depuis longtemps connu pour ses vertus stimulantes. «Chez les Inuits, cette plante pourrait aussi être utilisée dans le traitement du diabète. En tout cas, la demande est forte actuellement sur le marché.»

Commercialiser l’orpin rose?

Pour les Inuits, aux prises avec des problèmes sociaux et économiques majeurs, l’orpin rose pourrait constituer une belle occasion d’affaires. «On peut envisager la commercialisation de cette plante, dit Alain Cuerrier. Mais il faut le faire d’une manière intelligente.»

Victime de son succès dans les années 70, l’ail des bois a presque disparu du territoire québécois parce que les gens en récoltaient inconsidérément le bulbe, tuant le plant du même coup.

Si l’on prend certaines précautions, la culture de l’orpin rose pourrait être possible. «Un peu comme les plantations commerciales dans les pépinières, on pourrait penser à cultiver l’orpin rose dans les champs. Il faudrait trouver des moyens d’installer des séchoirs afin d’y déposer la récolte. Cela donnerait l’occasion à des communautés inuites d’occuper un créneau original et potentiellement lucratif, celui des produits de santé naturels.»

Avant d’évoquer une éventuelle commercialisation de l’orpin rose, le botaniste a dû s’assurer que la plante de cet hémisphère possédait les mêmes propriétés que celles attribuées au végétal si populaire en Europe. Il a donc procédé à une analyse génétique des différentes populations d’orpin rose récoltées dans les îles Mingan et dans le pays des Inuits. Résultat: il s’agit de la même souche puisque le génotype est identique à celui qui vient de Russie ou de Norvège. Il est toutefois nécessaire de veiller à ce que la plante croissant au Nunavik contienne les mêmes composés actifs – et dans des quantités semblables – que les souches européennes, un travail qui est en cours en collaboration avec John Arnason, de l’Université d’Ottawa.

La culture durable de l’orpin rose est envisageable, estime Alain Cuerrier. Si l’expérience est concluante, il sera permis de considérer d’autres projets. Chez les Cris de Mistissini, notamment, on pourrait cultiver la sarracénie, une plante dont on connait bien les propriétés médicinales.

Ethnobiologie

Les rencontres d’Alain Cuerrier avec les Amérindiens et les Inuits l’ont transformé. «J’adore les Inuits, souligne-t-il. Ce sont des gens humbles, faciles d’approche, qui aiment rire. J’ai eu de très bons rapports surtout avec les ainés.»

Alain Cuerrier a passé une partie de l’été dans le Grand Nord. On le voit ici en compagnie de Tivi Etok. Ce dernier se souvient très bien du grand botaniste Jacques Rousseau à qui son frère a servi de guide.

Ce n’est pas d’hier que les Blancs sont fascinés par la magie du Nord. Un ami d’Alain Cuerrier, Pierre Philie, titulaire d’un doctorat en géographie humaine de l’Université de Montréal, a littéralement été envouté par les aurores boréales de la toundra. Il vit au bord du détroit d’Hudson depuis plus de 10 ans, s’est marié avec une Inuite et a deux enfants.

Une des rencontres du chercheur s’est avérée particulièrement symbolique puisqu’elle concerne une figure mythique de l’histoire québécoise des sciences: le botaniste et ethnologue Jacques Rousseau (1905-1970). «J’ai demandé au cours d’une discussion avec Tivi Etok s’il se souvenait d’un Blanc qui récoltait des plantes. Oui, il se le rappelait très bien. C’est même son frère, Moses Etok, qui avait été son guide. Tout cela a été confirmé par une photo.»

Il y a bien des points communs entre Alain Cuerrier et l’ancien étudiant du frère Marie-Victorin. Ce n’est pas pour rien que ses collègues botanistes le surnomment «le jeune Rousseau».

Avant de se rendre dans le Grand Nord à la demande du Jardin botanique de Montréal dans le contexte du lancement du Jardin des Premières-Nations, Alain Cuerrier se destinait à la systématique végétale. Durant un stage doctoral à l’Université Harvard, dont il garde de bons souvenirs, il a côtoyé le grand ethnobotaniste Richard Schultes. Et dans la salle de séminaire, en compagnie du généticien Richard Lewontin et des biologistes Stephen Jay Gould et Ernst Mayr, il a écouté le botaniste George Stebbins. «C’était enivrant de voir tous ces éminents chercheurs en un seul lieu, dans un même local», ajoute-t-il.

Alain Cuerrier, qui a passé une partie de l’été dans le Grand Nord, entreprend cet automne l’analyse de ses données. En collaboration avec John Arnason et Anne Bruneau, professeure à l’Institut de recherche en biologie végétale, il a obtenu des fonds de Nunavik Biosciences (société de développement Makivik) afin de mener des travaux sur la médecine traditionnelle par les plantes. Il ira également dans la forêt boréale poursuivre ses travaux auprès des communautés cries. Ce dernier projet, réalisé avec Pierre Haddad, professeur à la Faculté de pharmacie, a pu voir le jour grâce à une subvention des Instituts de recherche en santé du Canada.

Mathieu-Robert Sauvé

 

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