Volume 41 - numÉro 6 - 2 octobre 2006
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Et Darwin créa DieuDaniel Baril croit que la religion est un produit de la sélection naturelle
Depuis l’homme de Néandertal qui enterrait ses morts jusqu’à George W. Bush qui pourfend l’axe du mal avec ses armées, le surnaturel est une constante de l’histoire humaine. «Comment expliquer l’universalité de ce que nous appelons religion et qui s’observe à toutes les époques, dans toutes les régions du monde, dans toutes les cultures et dans toutes les sociétés humaines, du Paléolithique jusqu’à l’ère spatiale? Comment expliquer ce besoin apparemment irrépressible qu’a le primate humain de créer du surnaturel?» C’est à ces questions que s’attaque Daniel Baril dans La grande illusion: comment la sélection naturelle a créé l’idée de Dieu, qui vient de paraitre chez MultiMondes. Journaliste à Forum depuis 1992, Daniel Baril est également militant laïque depuis 25 ans au sein du Mouvement laïque québécois, qu’il a contribué à fonder en 1981. Mais c’est l’anthropologue qui lance cet ouvrage, dont un chapitre est tiré de son mémoire de maitrise rédigé sous la direction de Bernard Chapais et déposé en 2003. «Au cœur de mon essai se trouve la volonté d’expliquer la persistance du religieux avec un regard anthropologique, explique-t-il en entrevue. Il y a actuellement des débats importants sur cette question et je souhaitais présenter mon point de vue, basé sur la théorie de l’évolution.» Mais l’auteur et vulgarisateur scientifique y a aussi trouvé son compte. «Les théories évolutionnistes sont mal comprises et méconnues dans notre société, surtout chez ceux qui s’intéressent au phénomène religieux, souligne-t-il. C’est pourquoi j’estime qu’un ouvrage qui fait une synthèse des connaissances sur le sujet peut être utile.» Étendard du clanQue dit ce livre? Que la croyance au surnaturel découle en partie des mécanismes qui favorisent la cohésion à l’intérieur d’un groupe. Émile Durkheim lui-même a qualifié la religion d’«étendard du clan»; elle est le «symbole par lequel l’individu définit et maintient son appartenance à un groupe». La grande illusion, c’est cette inclination à croire à un agent extérieur qui orchestre la marche du monde. «Depuis toujours, on a cherché un sens aux catastrophes naturelles et aux drames qui surviennent dans la vie, comme s’ils étaient le résultat d’une intention, remarque Daniel Baril. Il est rassurant de penser qu’une logique règle l’ordre du monde.» Cette façon de voir a peut-être aidé l’humanité, même à ses balbutiements. «La croyance au surnaturel est une illusion sur le plan intellectuel, mais elle ne contrevient pas aux lois de la sélection naturelle. C’est pourquoi elle persiste.» Si elle peut faire le bien, l’inverse est aussi vrai. Le kamikaze qui agit par conviction religieuse adopte un comportement qui est contraire à la sélection naturelle. «Quand la foi conduit l’individu à se détruire, elle devient un facteur d’élimination des croyants; elle se révèle totalement ”inadaptative”.» Autre conséquence: en galvanisant ce sentiment d’appartenance, la religion peut provoquer des crises, voire des tragédies, car les groupes en viennent à s’opposer les uns aux autres. Comme chez nos cousins macaques, qui favorisent leurs plus proches parents (quitte à chasser les autres sans pitié), l’appartenance au groupe fait naitre des guerres de clans. Un bon exemple en a été donné récemment par le pape Benoît XVI, dont quelques mots d’un discours ont soulevé la colère des musulmans du monde entier. «Dans l’histoire humaine, la religion a eu des effets bénéfiques, concède l’anthropologue. Mais quand elle exacerbe les rivalités entre les groupes, elle peut causer beaucoup de ravages.» Hostile, moi?Parfois perçu comme la bête noire des croyants (la dernière victoire du Mouvement laïque québécois est l’abolition de la prière au conseil municipal de Laval), Daniel Baril se défend d’être hostile au phénomène religieux. «Au contraire, je m’y intéresse depuis toujours. Plus jeune, j’ai même connu une période de croyance profonde», mentionne-t-il avec un sourire. Originaire du pays de l’amiante, l’adolescent a trouvé dans le mysticisme, l’ésotérisme et la parapsychologie une multitude de réponses lorsqu’il a cherché un sens à la vie. Cette quête l’a mené à un baccalauréat en sciences de la religion, qu’il a obtenu à l’UQAM dans les années 70. Par la suite, il a fait des études en pédagogie et a enseigné la formation morale au secondaire. Assez rapidement, toutefois, le paranormal et la foi religieuse se sont heurtés à son sens critique. «À mon avis, la croyance en Dieu n’est pas apte à résister à la méthode scientifique. Je le dis même si je sais que d’éminents scientifiques ne rejettent pas l’idée de Dieu. Pour moi, un dieu personnel qui intervient dans la vie, c’est un non-sens. Quant au dieu qui serait un “principe premier”, cela ne nous apporte rien.» Convaincu que la vie humaine s’achève tout simplement après notre dernier souffle, Daniel Baril est un athée convaincu. Mais l’athéisme n’est pas synonyme de rejet des valeurs humanistes. «Je dirais même que beaucoup d’athées sont plus près de principes comme l’amour universel, prôné par la plupart des religions, que bien des croyants. Justement parce que la solidarité, la générosité et l’entraide ne se limitent pas à un groupe religieux en particulier.» Cela dit, ce n’est pas parce que les églises se vident que Dieu est mort. «L’humanité ne se passera jamais de religion; c’est une illusion qui a de l’avenir», lance-t-il. Mathieu-Robert Sauvé Membre de l’Association des communicateurs scientifiques du Québec, Daniel Baril participera à un débat intitulé «Darwin et les journalistes» le 5 octobre, à 18 h, au musée Redpath de l’Université McGill. Le journaliste Pierre Sormany lui donnera la réplique. Entrée libre. |
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