Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 6 - 2 octobre 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Homicide: les proches vivent un deuil particulier

La victimologie est trop souvent traitée sous l’angle du militantisme, souligne Catherine Rossi

Les sentiments de frustration, d’horreur et de colère sont exacerbés dans le cas d’un crime gratuit.

À la suite de la tragédie survenue au collège Dawson, les médias ont abondamment fait état du traumatisme vécu par tous ceux qui étaient sur place ou même qui étaient associés de près ou de loin au collège. Tous ces gens sont à des degrés divers des victimes du tireur.

«Même si en droit pénal la victime est la personne directement visée par l’homicide et que les proches de la victime ne sont pas inclus dans la définition, l’approche psychosociale considère que toute personne qui souffre des effets d’un homicide ou des répercussions d’un crime est elle aussi une victime», indique Catherine Rossi, chargée de cours au programme Violence, victimes et société à la Faculté de l’éducation permanente et doctorante à l’École de criminologie.

Deuil et traumatisme

Selon la jeune chercheuse, les proches d’une victime d’homicide, que ce soit les parents, les enfants, les frères et sœurs ou les amis, vivent un deuil particulier et différent des deuils liés à un accident ou à une catastrophe naturelle. «Les recherches montrent que faire le deuil d’une personne assassinée est plus compliqué et plus long que dans le cas des autres formes de deuil, affirme-t-elle. Les réactions sont plus intenses et les proches de la victime peuvent vivre un choc post-traumatique même s’ils n’ont pas été directement associés au drame et n’en ont pas été témoins.»

Les homicides surviennent généralement dans un contexte de violence conjugale, de règlement de comptes, de bagarre ou de viol, souligne la criminologue. «Le fait qu’ils soient perpétrés par une autre personne, contrairement à la maladie, nous fait toucher à l’horreur de près. Le sentiment de frustration que peuvent ressentir les proches prend donc une autre dimension.» La colère est aussi l’un des sentiments qui revient le plus souvent quand il s’agit de décrire les émotions des proches des victimes d’homicide.

Ces sentiments de frustration, d’horreur et de colère sont exacerbés dans le cas d’un crime gratuit comme celui de Kimveer Gill, mais de telles situations, encore plus complexes que les homicides habituels, ont été très peu étudiées.

La sympathie populaire exprimée à l’égard de l’ensemble des victimes de cette tragédie et en particulier envers les parents de la jeune Anastasia De Sousa, décédée dans la fusillade, a amené le gouvernement du Québec à hâter l’adoption d’un projet de loi visant à faire passer de 600 à 3000 $ les indemnités accordées aux proches de victimes d’actes criminels. Actuellement, seule la couverture des frais d’assistance aux funérailles est admise; la nouvelle loi inclurait le soutien psychologique.

Même si Catherine Rossi convient que la loi doit être bonifiée, elle considère que la façon dont le gouvernement procède n’est pas sans soulever de questions. «On commet une certaine injustice vis-à-vis des autres victimes, celles qui n’ont pas bénéficié de la sympathie témoignée à Anastasia De Sousa», signale-t-elle en déplorant que la question de la victimologie soit principalement traitée sous l’angle du militantisme.

Catherine Rossi

«La question des indemnités est très complexe et doit être abordée de façon pluridisciplinaire par des psychologues, des travailleurs sociaux, des juristes et des sociologues afin d’évaluer l’ensemble des conséquences», estime-t-elle.

Au lieu de vouloir établir quels sont les proches qui peuvent être couverts par les indemnités en cas d’homicide, la chercheuse croit qu’il faudrait plutôt déterminer les frais financiers admissibles. «Il n’y a pas de consensus sur la définition d’un proche, remarque-t-elle. Tous ceux qui subissent les préjudices d’un crime devraient avoir droit à l’aide prévue par la loi. Mais si l’on se limite à désigner quels sont les proches qui y ont droit, la définition ne pourra jamais convenir à toutes les situations et il y aura toujours des insatisfaits. La bonne idée serait de savoir quoi indemniser: les funérailles, la perte de revenus, la thérapie, les médicaments, les frais de gardiennage, etc.»

Être garant de la mémoire du disparu

Ce sont là des thèmes qu’aborde Catherine Rossi dans le cours Homicides, survivants et vécu des proches, un cours multidisciplinaire conçu par le responsable du programme, Louis Plamondon, et qui se donne pour la première fois cet automne. «Nous cherchons à constituer une typologie des différents homicides et de leurs conséquences particulières sur les proches en cernant les conditions de chaque acte, précise la chargée de cours. Nous abordons aussi la question de l’importance pour les survivants d’être reconnus comme des victimes.»

Ce dernier élément est au cœur de la recherche doctorale de Mme Rossi. Ses travaux éclairent un aspect méconnu du rôle qu’assument les proches des victimes d’homicide. À son avis, ces personnes ont deux rôles: elles sont des victimes indirectes atteintes par la souffrance psychologique et les conséquences matérielles du meurtre, mais elles se voient aussi comme garantes de la mémoire de la personne morte.

Ce second rôle, qui n’est pas commun à tous les proches des victimes d’homicide, est un rôle de défense et de représentation du disparu. «La victime décédée ne peut plus ni s’exprimer, ni se défendre, ni revendiquer ou faire valoir ses droits, observe la chercheuse. Il revient à certains de ses proches d’accomplir cette mission sur les plans juridique, social, médiatique ou politique. C’est une tâche que le proche ne peut plus déléguer, même s’il finit par pardonner ou par oublier sa propre souffrance.»

Selon Catherine Rossi, cette dimension souvent oubliée doit être prise en compte dans la réflexion profonde que le Québec doit mener sur la victimologie et l’indemnisation des victimes afin de contrer un certain «dialogue de sourds» entre les survivants et les décideurs.

La doctorante travaille sous la cotutelle de Maurice Cusson (École de criminologie de l’UdeM) et Robert Cario (Université de droit de Pau, en France), et sous la supervision d’Arlène Gaudreault (École de criminologie).

Daniel Baril

La photo de la page une est parue sur Tolerance.ca® (www.tolerance.ca) et accompagnait un article de M. Labissionnière intitulé «La tuerie au Collège Dawson: rencontre avec les secouristes».

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