Volume 41 - numÉro 8 - 16 octobre 2006
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Le rêve de Cro-MagnonLe rêve ne serait pas meublé de conflits non résolus mais de situations permettant au rêveur de se préparer à des dangers pressentis
Considéré tantôt comme un message des dieux, tantôt comme un fantasme sexuel refoulé, le rêve a fait l’objet d’innombrables interprétations tout au long de l’histoire de l’humanité. Une nouvelle théorie, fondée sur une approche évolutionniste, a vu le jour au tournant de l’an 2000, selon laquelle le rêve serait un mécanisme nous permettant d’optimiser nos réflexes de survie face à un danger. Cette théorie pour le moins originale et audacieuse a reçu l’attention d’Antonio Zadra, professeur au Département de psychologie. «L’un de ses mérites est de permettre la formulation d’hypothèses qui peuvent facilement être testées», souligne-t-il. Le professeur a réalisé la première étude basée sur cette théorie en vérifiant pas moins de huit hypothèses découlant de la nouvelle approche. Comportements d’évitementLa théorie en question a été élaborée par Antti Revonsuo, directeur du Groupe de recherche sur la conscience au Centre de neuroscience cognitive à l’Université de Turku, en Finlande. Le rêve se serait développé, chez nos lointains ancêtres, afin de simuler une menace extérieure permettant au rêveur de mettre en pratique ou de répéter des comportements d’évitement du danger. Dans l’environnement du pléistocène, la survie de l’individu était constamment menacée par les prédateurs, les tribus rivales ou les éléments de la nature. Les mécanismes d’évitement des dangers devaient être constamment sollicités et c’est dans cet état d’alerte perpétuel que la fonction onirique aurait pris la forme qu’on lui connait chez l’espèce humaine. La théorie repose également sur le fait que la représentation mentale d’une action peut amener une amélioration des habiletés motrices concernées. Les travaux sur le rêve donnent un certain crédit à la théorie. Selon des études des années 60, 80% des rêves auraient un contenu négatif et la malchance y est sept fois plus fréquente que la bonne fortune. Dans 96% des cas où il y a interaction avec un animal, le rapport est agressif. Tant chez les hommes que chez les femmes, les ennemis sont presque toujours des étrangers masculins. «D’après la “théorie de la simulation de la menace”, le système de production des rêves sélectionne des contenus traumatiques non pas parce qu’ils représentent des problèmes affectifs non résolus, mais parce qu’ils constituent des situations critiques pour la survie et le succès reproductif de l’individu», explique Antonio Zadra. D’où l’avantage adaptatif du rêve. Nous ne rêvons évidemment pas de chasse au mammouth ni de combat avec un lion, mais les rêves de poursuite, de chute, d’expérience sexuelle et de vol sont parmi les plus fréquemment rapportés par les rêveurs d’aujourd’hui. Contenus menaçantsÀ la lumière de la théorie d’Antti Revonsuo, on devrait s’attendre à ce que les rêves comportent des dangers menaçant la survie du rêveur ou de ses proches; les situations menaçantes devraient être réalistes plutôt que fantaisistes et le rêveur devrait afficher, en rêve, des comportements d’évitement réalisables. Le professeur Zadra a confronté chacun de ces éléments avec les contenus de 212 rêves récurrents. «Si le rêve se répète, c’est qu’il est important pour la personne et ce type de rêve devient du bon matériel pour vérifier les hypothèses», indique-t-il.
L’analyse montre que plus de 65% de ces rêves récurrents présentent une menace dirigée, dans 94% des cas, contre le rêveur; dans 65% de ces situations, il y a risque de mort ou de blessures graves. Ces chiffres vont dans le sens des résultats attendus. Par contre, le rêveur parvient à contrer la menace par l’affrontement ou la fuite dans seulement 17% des cas, alors que 77% des rêves se terminent par l’accomplissement de la menace ou le réveil du rêveur. De plus, le danger provient presque toujours de situations improbables ou fantaisistes; moins de 10% des rêves récurrents menaçants répondent à l’ensemble des hypothèses, c’est-à-dire qu’ils sont liés à la réalité et menacent la survie ou le potentiel reproducteur du rêveur, qui agit adéquatement pour éviter le danger. «Il n’est pas nécessaire de réussir à éviter tous les périls qu’on rencontre en rêve pour agir de façon adéquate face aux dangers qui apparaissent dans la réalité, signale Antonio Zadra. Toutefois, la répétition d’un rêve où l’on est en situation d’échec peut amener la personne à croire qu’elle ne possède pas les habiletés nécessaires pour réagir aux situations menaçantes dans la vie réelle. L’effet est alors contradaptatif.» On aurait également pu s’attendre à une différence intersexe dans le contenu de ces rêves puisque les hommes et les femmes n’ont pas la même attitude à l’égard du risque et du danger, une différence comportementale qui est au cœur de la théorie de la sélection sexuelle. Même si cela ne faisait pas partie des hypothèses de recherche, aucune différence intersexe n’a été observée dans quelque élément mesuré que ce soit. Pour le chercheur, ces derniers chiffres n’invalident pas nécessairement la théorie. «Nos données sont conformes aux attentes concernant la partie menaçante des rêves mais pas pour les comportements d’évitement», nuance-t-il. À son avis, la théorie pourrait coller davantage à la condition qui prévalait avant l’apparition du langage. «Le langage est une façon de se représenter la réalité et il a donc un effet sur le contenu des rêves. La théorie devrait tenir compte de cet élément.» Les résultats de cette étude étaient publiés dans le numéro de juin 2006 de la revue Consciousness and Cognition. Antonio Zadra poursuit ses travaux sur ce thème en appliquant cette fois la théorie aux cauchemars. Daniel Baril
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