Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 10 - 6 NOVEMBRE 2006
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 Archives de Forum

capsule sciences

L’obésité réduit-elle l’espérance de vie?

L’obésité entraine-t-elle actuellement une diminution de l’espérance de vie? «Absolument pas. C’est un mythe à dissiper», estime le démographe Jacques Légaré.

Selon Santé Canada, l’espérance de vie se définit par «le nombre d’années que devrait en principe vivre une personne à compter de la naissance», à partir des statistiques de mortalité sur la période d’observation retenue. Aujourd’hui, l’espérance de vie au Québec est de 76,2 ans pour les hommes et de 82,1 ans pour les femmes. «Mais pour calculer l’espérance de vie d’une génération, on doit accumuler des données sur une centaine d’années, explique M. Légaré. Or, l’obésité est un concept beaucoup trop récent pour influer à la baisse sur l’espérance de vie du moment. De plus, même si c’est un phénomène pernicieux, l’obésité n’est pas un virus mortel qui décime des populations entières. Elle ne crée pas d’hécatombes.»

Pour qu’un phénomène ait un impact à court terme sur l’espérance de vie, il faut qu’il soit radical et meurtrier. «Durant la guerre de 1939-1945, l’espérance de vie en Europe s’est abaissée de plusieurs années. Il faut se souvenir qu’il y a eu des millions de morts en quelques années. Après la fin du conflit, la situation s’est bien vite rétablie et a continué de s’améliorer.»

La pandémie de sida en Afrique est un autre exemple de crise humanitaire grave qui a une incidence directe sur l’âge moyen de la population. «Dans certains pays, le sida provoque le décès de centaines de milliers d’hommes et de femmes chaque année. L’espérance de vie a été réduite de 12 ans en Afrique du Sud à 25 ans au Zimbabwe entre les années 1980 et 2000. Nous sommes bien loin de ces chiffres avec le problème de l’obésité.»

La source du «mythe» décrié par M. Légaré, selon lequel l’espérance de vie serait à la baisse pour la première fois depuis 200 ans, est une interprétation trompeuse d’un article paru le 18 mars 2005 dans le très sérieux New England Journal of Medicine. On y contredisait les projections publiées par le gouvernement américain quant à l’espérance de vie aux États-Unis qui atteindrait au moins 85 ans d’ici 2080. Ces projections, écrivaient S. Jay Olshansky et ses neuf coauteurs, sont «une extrapolation simple mais peu réaliste des tendances passées relativement à l’espérance de vie». Dans leur démonstration, les chercheurs estimaient au contraire que l’augmentation du nombre d’enfants atteints d’obésité réduirait l’espérance de vie de deux à cinq ans aux États-Unis vers la fin du 21e siècle. Un déclin d’une importance jamais vue depuis la crise de 1929.

«Je ne nie pas que l’obésité soit un problème de santé publique important, reprend M. Légaré. C’est un facteur de morbidité qui ouvre la porte à de multiples ennuis de santé. On sait que les maladies cardiaques, par exemple, sont plus fréquentes chez les gens obèses.»

La prévention de ce problème est d’autant plus complexe qu’il est multifactoriel. «Les responsables de la santé publique ont obtenu de beaux succès avec la prévention du tabagisme. Ce fléau a beaucoup diminué, chez nous, depuis 10 ans. Mais quand on y pense, le facteur principal du tabagisme est facile à cibler comparativement aux nombreuses causes de l’obésité: le manque d’exercice, les mauvaises habitudes alimentaires, le stress. De plus, certaines personnes sont obèses parce qu’elles sont prédisposées génétiquement à cette condition. Même avec de bonnes campagnes de sensibilisation, on ne peut rien pour elles.»

Le rôle du démographe est d’observer l’évolution des populations humaines afin d’en tirer des informations utiles. Or, Jacques Légaré hésite à qualifier d’épidémie le problème de l’obésité qu’on remarque depuis quelques années. «Disons qu’on est en phase de développement d’une épidémie. Mais il faudrait attendre encore une ou deux décennies avant d’être affirmatif sur ce point.»

Si cette épidémie se confirme, toutefois, «ce sera extrêmement dur de renverser la tendance», croit-il.

Un nouveau concept de plus en plus considéré par les statisticiens est celui de l’espérance de vie «en santé». Les personnes vieillissantes et obèses pourraient trouver leur quotidien difficile. «L’important, pour être heureux, n’est pas seulement d’ajouter des années à sa vie, dit sagement le démographe. C’est d’ajouter de la vie à ses années.»

Mathieu-Robert Sauvé


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