Volume 41 - numÉro 12 - 20 NOVEMBRE 2006
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Les gènes HOX ont joué un rôle clé dans l’évolutionLes travaux de Marie Kmita montrent que ces gènes architectes ont aussi permis le développement des membres
Nous en connaissons l’existence depuis les années 80, mais ils commencent à peine à livrer leurs secrets. Et ils nous réservent sans doute des surprises renversantes. Les gènes homéotiques, ou gènes HOX, sont les gènes architectes des organismes pluricellulaires. C’est à eux que nous devons d’avoir la tête sur les épaules et les doigts au bout des mains et non l’inverse. On les appelle «homéotiques» – du grec homoios, «semblables» – parce que leurs mutations peuvent faire apparaitre sur une partie du corps des organes appartenant à une autre partie. Chez la mouche drosophile, par exemple, des modifications dans les gènes homéotiques peuvent entrainer la formation d’une patte à la place d’une antenne ou doubler le nombre d’ailes. «La fonction ancienne de ces gènes était d’assurer un développement du corps selon un axe antérieur-postérieur de l’embryon. Ce sont ces gènes qui définissent l’architecture du corps et l’organisation du squelette», explique Marie Kmita, attachée de recherche au Département de médecine et directrice de l’Unité de recherche en génétique et développement à l’Institut de recherches cliniques de Montréal. L’être humain possède une quarantaine de gènes HOX regroupés en quatre complexes répartis sur quatre chromosomes différents. «Leur répartition sur la chaine d’ADN suit le même ordre que celui des structures anatomiques qu’ils vont construire, précise la chercheuse. Leur activation est séquentielle, un peu comme un jeu de dominos; c’est d’abord le gène 1 qui est mis en activité, puis le 2, le 3 et ainsi de suite. Si le premier ne s’exprime pas, les autres demeureront aussi inhibés.» Cela signifie que ceux qui sont au début du complexe sont nécessaires au développement de la tête alors que ceux qui se trouvent au centre et à l’autre extrémité du complexe interviennent respectivement dans le développement du thorax et dans celui du bassin.
Recyclage génétique
«Nous savions que les gènes HOX étaient responsables de la mise en place de l’architecture du tronc. Nous savons maintenant qu’une partie de ces gènes sont aussi responsables de l’émergence des bras et des jambes. Ces nouvelles structures du corps ont été rendues possibles non pas par l’apparition de nouveaux gènes, mais grâce à l’activité d’une nouvelle association fonctionnelle de gènes HOX déjà existants. Il y a donc eu réutilisation de ces gènes dans les membres en développement», affirme la chercheuse. Ce fonctionnement a pu être observé sur des embryons de souris chez qui l’équipe de Mme Kmita avait désactivé une vingtaine de gènes HOX dans le bourgeon d’une patte avant. La patte ne s’est pas formée et le développement s’est limité à un petit bout d’os non fonctionnel. Ces travaux ont également mis en évidence l’interaction entre les gènes HOX et un gène «polarisateur», le gène Sonic Hedgehog, qui permet le développement asymétrique des membres et de leur extrémité. «Ce gène est activé par les gènes HOX dont il raffine, en retour, les domaines d’activité, mentionne Mme Kmita. Ce sont donc les gènes HOX qui font que nos doigts ne sont pas tous les mêmes, ce qui permet à nos mains d’effectuer un plus large éventail de mouvements.»
L’explosion du Cambrien «Le fait que les gènes HOX sont responsables de l’activité du gène polarisateur Sonic Hedgehog suggère que la polarité – c’est-à-dire l’asymétrie – des membres est apparue en même temps que les membres eux-mêmes, estime Marie Kmita. Parmi les fossiles les plus anciens, dès qu’on découvre des organismes avec des membres, ces membres sont asymétriques. Cela nous indique que l’évolution, dans ce cas, n’a pas procédé par petites modifications ou petits raffinements successifs, mais que la structure du membre est apparue presque d’un seul coup.» Le premier complexe de gènes HOX se serait organisé il y a quelque 600 millions d’années. Pour certains chercheurs, ces gènes seraient vraisemblablement l’un des principaux facteurs de l’explosion des espèces vivantes, survenue au début du Cambrien, il y a 550 millions d’années. Les travaux de Mme Kmita montrent qu’il n’est pas essentiel que les mutations soient majeures pour entrainer des modifications morphologiques majeures entre deux espèces. Il suffit parfois de changer légèrement le domaine d’activité d’un gène de structure dans l’embryon pour produire une nouvelle structure. C’est ainsi que des membres ont pu apparaitre et que plus tard des nageoires ont pu devenir des pattes. Inversement, la perte de certains de ces gènes de structure n’entraine pas forcément un développement inorganisé; le développement s’en trouve modifié et, si la mutation est viable, nous aurons affaire à une nouvelle espèce. Ce mécanisme explique également l’absence de chainons manquants entre les espèces dans le registre fossile puisque, dans certains cas, les organismes intermédiaires n’ont peut-être jamais existé. Daniel Baril |
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