Volume 41 - numÉro 15 - 11 DÉCEMBRE 2006
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Pour un débat inclusif sur l’accommodement raisonnable
Marie Mc Andrew, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’éducation et les rapports ethniques et professeure à la Faculté des sciences de l’éducation, a fait circuler cette lettre qu’ont signée près de 250 personnes dont 75 de l’UdeM, parmi lesquelles huit responsables d’unités de recherche mentionnés à la fin du texte. Cette lettre «ne vise pas à prendre position mais à définir le seuil minimal de complexité et de responsabilité éthique», a tenu à préciser Mme Mc Andrew. Le débat sur l’accommodement raisonnable et la prise en compte de la diversité au sein des institutions québécoises sont non seulement souhaitables mais nécessaires. Plus de 30 ans après que nous avons posé les bases d’un projet de société pluraliste et inclusive, nous devons faire le point sur le degré où nos institutions se sont adaptées aux besoins des Québécois de toutes origines, ainsi que sur les balises qui permettront que les transformations en cours continuent de se faire dans le respect des valeurs fondamentales qui nous unissent. L’accommodement des minorités religieuses, qu’elles soient récemment arrivées ou d’implantation ancienne, est particulièrement délicat, car, comme chacun sait, la cohabitation entre le modèle de laïcité promu dans les sociétés démocratiques et les exigences, réelles ou présumées, des religions n’est pas toujours aisée. Toutefois, telle qu’elle est engagée, d’abord dans les médias puis dans l’arène politique, la controverse actuelle soulève notre inquiétude. En effet, loin de nous soutenir collectivement vers le développement de l’identité québécoise que nous souhaitons, ouverte, inclusive et dynamique, certains dérapages contribuent plutôt à nous diviser et à renforcer les clivages entre «Eux» et «Nous», que nous pensions pourtant dépassés. Il faut déplorer tout spécifiquement à cet égard: • La réduction de la question de l’accommodement raisonnable et de la prise en compte de la diversité religieuse à la présence des «nouveaux arrivants» Celle-ci touche pourtant nombre de personnes d’implantation ancienne comme les Juifs, ou même d’origine canadienne-française comme beaucoup de Témoins de Jéhovah. De plus, lors de certaines prises de position marginales, mais malheureusement de plus en plus fréquentes, les Québécois «de souche» apparaissent comme les défenseurs unanimes des valeurs démocratiques que les «étrangers venus d’ailleurs» menaceraient systématiquement. C’est passer bien vite sur les différences existant à l’intérieur de ces deux groupes, tant en ce qui concerne les attitudes que le bilan en matière des droits de la personne. Le projet collectif d’un Québec égalitaire est encore largement à construire: il n’est donc l’apanage d’aucune de ses composantes. • La présentation simpliste de l’accommodement raisonnable comme un privilège consenti aux minorités aux dépens de la majorité Cette vision évacue le fondement même de cette notion juridique: l’obligation de corriger les effets discriminatoires non intentionnels de divers règlements ou normes sur des clientèles extrêmement variées (handicapés, femmes, minorités sexuelles, etc.) afin de favoriser leur participation maximale à des institutions communes, qui ne sont jamais neutres. Elle discrédite également la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, qui devrait constituer la référence incontournable de notre projet citoyen, en ignorant ou en sous-estimant son rôle dans la définition des limites à respecter: entre autres, l’égalité des sexes, les droits des enfants et la sécurité. Le concept d’accommodement raisonnable, tel que mis de l’avant par les tribunaux, n'est certes pas sans failles ni irritants qu’on devrait tenter de corriger. Mais il ne mérite pas le traitement qu’on lui fait subir actuellement. • La confusion entre l’accommodement raisonnable et l’ajustement de leurs programmes et pratiques que diverses institutions adoptent librement, dans un souci de répondre aux besoins de certaines clientèles Il est évident que les balises à cet égard doivent être clarifiées, comme en témoignent les cas problématiques recensés lors de la présente «chasse aux accommodements raisonnables». Mais il faut se méfier du caractère anecdotique d’une certaine couverture médiatique, qui crée l’impression que nous sommes systématiquement allés trop loin. Il ne faudrait pas que l’arbre cache la forêt. Bien que des excès culturalistes existent, un bilan plus large montre, au contraire, qu’il y a encore bien du chemin à faire – ou peut-être un chemin différent – pour que nos institutions soient pleinement inclusives. Les données et témoignages concordants sur la marginalisation des minorités visibles, présentés lors de la Commission parlementaire sur la Politique gouvernementale de lutte contre le racisme et la discrimination, l’ont amplement illustré. Après avoir longtemps été confinée aux cercles juridiques, universitaires ou gouvernementaux, la question de l’accommodement raisonnable et de la prise en compte de la diversité suscite désormais l’intérêt, voire la passion, des Québécois. Dans une perspective de participation citoyenne, on ne peut que s’en réjouir. Toutefois, étant donné les dérapages cernés plus haut, la réponse du gouvernement parait insuffisante. La création du Comité consultatif sur l’intégration et l’accommodement raisonnable en milieu scolaire ainsi que le débat amorcé par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse sont de bonnes initiatives. Mais ces démarches à long terme n’apporteront pas, de façon immédiate, les clarifications nécessaires à la confusion qui règne actuellement. De plus, elles n’engagent pas directement le gouvernement ni les élus. Ce sont pourtant eux qui ont la responsabilité première de soutenir le cheminement de la société québécoise dans la définition de l’identité renouvelée et des valeurs véritablement communes que nous voulons continuer à partager. Face à des leaders qui pourraient être tentés de se faire du capital sur cette question, il est urgent que l’ensemble de la classe politique fasse entendre une voix nuancée et modérée.
Françoise Armand, Richard Y. Bourhis, directeur du CEETUM et professeur à l’UQAM
François Crépeau,
Jane Jenson,
Jean-François Lisée,
Solange Lefebvre,
Daniel Weinstock,
Micheline Milot, |
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