Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 18 - 29 JANVIER 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Les cardiaques dépressifs doivent continuer les antidépresseurs

François Lespérance publie dans JAMA les résultats d’une importante étude clinique

L’étude du Dr Lespérance est la première à faire une comparaison entre un traitement aux antidépresseurs et une psychothérapie chez les patients dépressifs aux prises avec des problèmes coronariens

Edouard Pietrantonio a la conviction que son infarctus, survenu à l’âge de 50 ans, a été causé par la dépression «assez forte» qu’il avait négligé de traiter. «C’est important d’être bien avec soi si tu veux éviter les problèmes de cœur», dit-il.

M. Pietrantonio n’a peut-être pas tort puisque de 17 à 27 % des patients aux prises avec des problèmes coronariens souffrent de dépression majeure. C’est pourquoi de nombreux médecins prescrivent des antidépresseurs à ces malades, dans le but de soulager les symptômes dépressifs. «Est-ce vraiment la meilleure solution? Une psychothérapie ne constituerait-elle pas un traitement complémentaire aux antidépresseurs? C’est ce que nous avons voulu savoir», signale le Dr François Lespérance, professeur au Département de psychiatrie et chercheur clinicien au CHUM.

À l’issue d’une recherche qu’il a menée d’un bout à l’autre du Canada auprès de 284 patients dépressifs souffrant de problèmes coronariens, dont les résultats ont été publiés dans l’édition du 24 janvier du prestigieux Journal of the American Medical Association (JAMA), il en est venu à une conclusion qui a «déçu et surpris» son équipe. La psychothérapie n’entrainerait pas d’amélioration notable de la dépression par comparaison à des visites de suivi médical de 20 minutes, contrairement à la prise d’un antidépresseur comme le citalopram. On a même noté, dans certains cas, que les courtes visites soulageaient plus les symptômes dépressifs que la psychothérapie interpersonnelle. «Nous pensions que nos patients gagneraient à parler à un professionnel, au cours dthérapie de 12 séances de 45 minutes. Malheureusement, ce type d’approche n’est pas concluant.»

Ceux qui croient aux solutions non pharmaceutiques en prennent pour leur rhume. «Cet essai clinique documente l’efficacité de l’antidépresseur citalopram […] chez le patient qui souffre de problèmes coronariens», peut-on lire dans l’éditorial du JAMA, signé par Alexander Glassman et Thomas Bigger, de l’Université Columbia. Ils soulignent que cette étude apporte une «preuve de plus» au dossier du traitement pharmaceutique par les inhibiteurs de sérotonine.

Dans le communiqué diffusé par l’association américaine, on mentionne que cette étude est l’une des rares à avoir abordé les liens entre la dépression et les problèmes coronariens, et la première à établir une comparaison systématique entre un traitement aux antidépresseurs et une psychothérapie.

Nouvelle piste de recherche
Cette expérience permet au chercheur d’entrevoir de nouveaux projets. «On peut penser que le caractère introspectif de la thérapie peut se révéler parfois difficile pour des patients atteints d’une maladie physique, indique le Dr Lespérance. Peut-être faudrait-il se tourner vers des traitements plus extériorisés comprenant l’exercice physique par exemple. Plusieurs médecins remarquent que les séances de réadaptation qui suivent une opération au cœur font beaucoup de bien aux patients.»

Le médecin et chercheur, qui s’intéresse depuis 20 ans au traitement de la dépression, n’a pas fini d’étudier les méthodes non pharmaceutiques pour venir à bout des maux de l’âme. L’une de ses recherches, effectuée en collaboration avec le médecin français David Servan-Schreiber, porte sur les effets des huiles oméga sur la dépression (voir Forum du 16 janvier 2006). L’équipe a déjà recruté quelque 170 sujets, soit le tiers du nombre souhaité.

S’il n’a pas peur d’appuyer des approches thérapeutiques parallèles, le Dr Lespérance n’est pas pour autant un contestataire de la médecine moderne. «Vous savez, les antidépresseurs ont beaucoup fait progresser la psychiatrie et la qualité de vie de nombreux patients en proie à la dépression. Mais il ne faut pas abandonner les autres méthodes. N’oublions pas que de 40 à 50 % des patients ne répondent pas bien aux antidépresseurs. C’est énorme. On fait quoi avec ces gens-là?»

La dépression est une maladie complexe, à plusieurs visages et encore mal comprise. Il faut poursuivre les études pour comprendre ses causes et mettre au point des traitements que les patients trouvent acceptables. «Les psychothérapies exigent des changements profonds et durables dans la façon qu’ont les gens de se percevoir, de se comporter, d’interpréter les événements. C’est un travail difficile. Il faut continuer nos recherches pour y arriver.»

François Lespérance

François Lespérance

Recherche publique
Le chercheur se compte chanceux d’avoir été financé (à raison de 1,4 M$) par les Instituts de recherche en santé du Canada pour cette étude clinique qui pourrait avoir un retentissement considérable dans la communauté médicale. Le fait qu’il conclut à la supériorité du traitement pharmaceutique sur la psychothérapie aurait pu jeter un doute sur les intentions des bailleurs de fonds. «Si une compagnie pharmaceutique nous avait financés, nous aurions eu un problème de crédibilité. Le fait que le financement soit public nous en préserve.»

Selon lui, cet exemple démontre une fois de plus que le financement public de la recherche est «essentiel».

Quant à M. Pietrantonio, qui a surmonté sa dépression, il a constaté qu’en plus de la prise d’antidépresseurs la pratique de la méditation l’a beaucoup aidé et, 15 ans après son infarctus, il se dit «en pleine forme».

Mathieu-Robert Sauvé

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