Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 21 - 19 FÉVRIER 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Les BPC et le mercure menacent la santé des enfants inuits

Dès la gestation, les enfants du Nunavik sont exposés à des taux anormalement élevés de contaminants environnementaux

Cette jeune mère a des raisons de s’inquiéter, car le poisson que mange son enfant ne contient pas seulement des oméga-3…

Même si la consommation régulière de poisson et de mammifères marins représente une source importante d’oméga-3, elle est également une source non négligeable de contaminants environnementaux. «Plusieurs polluants rejetés à des milliers de kilomètres de l’Arctique s’accumulent dans la chaine alimentaire et les Inuits occupent le sommet de cette chaine», affirme Dave Saint-Amour.

Chercheur au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine et au Département d’ophtalmologie de la Faculté de médecine de l’UdeM, M. Saint-Amour soutient que certains agents toxiques qu’on retrouve en grandes quantités dans les tissus de phoques, de bélugas et d’ours polaires engendrent même des anomalies sur le plan de la transmission neuronale. «Cela n’est pas étonnant, déplore M. Saint-Amour. Le cerveau en développement est très sensible aux agents toxiques. Or, le niveau de mercure a presque triplé au cours des 25 dernières années chez les mammifères marins de l’Arctique et les BPC, bien que bannis de l’industrie depuis plus de 30 ans, sont omniprésents dans l’environnement.»

Au cours d’une conférence-midi tenue à l’École d’optométrie le 5 février dernier, le chercheur a effectué un survol des résultats de recherches menées depuis 20 ans sur les conséquences d’une exposition à ces polluants sur le développement des enfants. Ayant lui-même conduit une étude auprès d’enfants inuits d’âge préscolaire, dont les résultats ont été publiés dans la revue Neurotoxicology l’an dernier, M. Saint-Amour parle en connaissance de cause.

Un environnement à risque
Selon les travaux présentés par Dave Saint-Amour, une exposition à long terme aux biphényles polychlorés (BPC) et au mercure, particulièrement pendant la grossesse, peut entrainer des déficits cognitifs chez les jeunes enfants, dont des troubles de l’attention et de la mémoire. Mais, jusqu’à tout récemment, on ne savait presque rien sur les effets de ces contaminants sur les fonctions sensorielles. «Ceci est pourtant fondamental pour comprendre l’origine des déficits observés et ainsi mieux orienter les stratégies d’intervention», déclare le chercheur.

Spécialiste des évaluations comportementale et électrophysiologique du système visuel, Dave Saint-Amour fait partie depuis 2000 d’une importante équipe de recherche québéco-américaine qui s’intéresse à cette problématique. «Notre but est d’étudier, notamment avec la vision, si le traitement de l’information sensorielle est touché chez les enfants inuits du Nunavik en considérant comme facteur potentiellement protecteur le rôle des oméga-3. Cela n’a jamais été fait auparavant», dit-il.

L’étude longitudinale, qui se poursuivra jusqu’en 2010, comprend une cohorte de 483 nouveau-nés inuits du Nunavik. À leur naissance, des échantillons de sang ont été prélevés dans leur cordon ombilical afin de mesurer les concentrations d’une panoplie de contaminants environnementaux. Durant la première année de vie et à l’âge de cinq ans, les enfants ont été soumis à diverses évaluations du développement physique, moteur, sensoriel et intellectuel. Tout un éventail de méthodes ont été employées, dont des mesures électrophysiologiques de l’activité cérébrale.

Les résultats révèlent que les nouveau-nés du Nunavik sont exposés à des taux anormalement élevés de BPC et de mercure. «Les concentrations de composés organochlorés retrouvées dans leur cordon ombilical sont quatre fois plus grandes pour ce qui est des BPC et de 15 à 20 fois plus grandes pour le mercure que celles mesurées dans le sud du Québec. Nous avons remarqué des associations entre l’exposition à ces contaminants et l’existence de déficits neurocomportementaux, surtout au cours de la première année de vie. C’est inquiétant», souligne Dave Saint-Amour.

Exposition intra-utérine
Comme bien d’autres polluants organiques persistants, les BPC et le mercure sont transmis au fœtus par la mère. «Les BPC et le mercure s’accumulent dans les tissus des êtres vivants, traversent la barrière placentaire et peuvent perturber le développement du fœtus à un moment où il est particulièrement vulnérable», indique le chercheur. Certaines études entreprises au Nunavik et ailleurs dans le monde, notamment aux îles Féroé (archipel danois), laissent à penser que les nouveau-nés en subissent les contrecoups.

Mais l’impact de l’exposition intra-utérine à certains contaminants suscite encore la controverse dans les milieux scientifiques. «À l’heure actuelle, il est impossible de dire si les problèmes d’apprentissage que peuvent vivre des jeunes du Nunavik sont dus à des conditions familiales ou sociales difficiles ou encore à l’exposition aux contaminants», admet M. Saint-Amour.

Les taux découverts chez les enfants inuits au Canada sont comparables à ceux trouvés chez les enfants d’autres régions (dont ceux du lac Michigan et des Pays-Bas) qui souffrent de divers problèmes cognitifs. Cependant, les conséquences à long terme de l’exposition aux contaminants pour les enfants du Nunavik ne seront pas connues avant qu’ils soient de nouveau évalués, soit à l’âge de 10 ans.

 

Dave Saint-Amour

Dave Saint-Amour

Un traitement de l’information sensorielle hors norme
Pour l’instant, l’enregistrement de l’activité électrique du cerveau à partir des potentiels évoqués visuels auprès de 102 sujets de la cohorte initiale démontre une certaine influence bénéfique des oméga-3 en ce qui concerne le traitement visuel. Du moins chez les enfants âgés de cinq ans. Par contre, ces acides gras ne semblent pas empêcher l’action néfaste des contaminants. De fortes corrélations existent en effet entre la performance aux tests visuels et le degré d’exposition aux BPC et au mercure.

«Plus le taux de mercure chez les jeunes est élevé, plus la latence des potentiels évoqués visuels est courte», mentionne Dave Saint-Amour. Autrement dit, la transmission de l’information visuelle semble se faire plus rapidement que d’habitude. Et ce n’est pas nécessairement bon signe. «Vous savez, il y a plusieurs raisons qui expliquent pourquoi les potentiels évoqués visuels prennent un certains temps à se manifester, signale M. Saint-Amour. Cela indique que les circuits et processus neuronaux fonctionnent normalement.»

Le chercheur a noté un processus contraire en ce qui a trait aux BPC. «La latence était beaucoup plus longue que la normale.» Signe d’une irrégularité, on retrouve le même phénomène chez les personnes atteintes de diverses maladies, dont la sclérose en plaques. Ce qui fait croire à M. Saint-Amour que le problème des latences neuronales longues et courtes pourrait être dû à des anomalies dans le traitement de l’information. «C’est ce que nous tentons présentement de mieux comprendre.»

Une subvention de 4,7 M$
Grâce à une subvention des National Institutes of Health de 4,7 M$, l’équipe québéco-américaine poursuit donc son étude sur le développement des enfants inuits du Grand Nord.
Outre Dave Saint-Amour, Éric Dewailly, Pierre Ayotte, Célyne Bastien et Gina Muckle, de l’Université Laval, Joseph et Sandra Jacobson, de l’Université Wayne State, à Detroit, et Charles Nelson, de l’Université Harvard, composent l’équipe responsable du projet. Les conclusions définitives de l’étude seront connues vers la fin de 2010.

Dominique Nancy

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