Volume 41 - numÉro 21 - 19 FÉVRIER 2007
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Des poissons sociaux chez qui les femelles sont dominantesNadia Aubin-Horth a réalisé la première étude portant sur les facteurs biologiques de comportements affiliatifs chez les poissons
Les cichlidés sont des poissons très populaires auprès des aquariophiles. Mais bien peu d’entre eux connaissent les mœurs plutôt étonnantes de ces poissons en milieu naturel. Ce sont des animaux sociaux chez qui un mâle et une femelle masculinisée forment le seul couple reproducteur et dominant au sein d’une colonie coopérative. C’est du moins le cas chez l’une des nombreuses espèces de cette vaste famille, le Neolamprologus pulcher, qui vit dans le lac Tanganyika, situé à la frontière du Burundi, de la Tanzanie et de la République démocratique du Congo. «Ce poisson n’a pas de nom populaire, mais l’une de ses sous-espèces est communément appelée “princesse du Burundi”», nous dit Nadia Aubin-Horth, professeure au Département de sciences biologiques. Les facteurs environnementaux qui influent sur les comportements de reproduction des cichlidés sont assez bien compris, mais on ne savait rien sur les déterminants biologiques de ces comportements combinant à la fois la dominance et la coopération. Nadia Aubin-Horth a donc réalisé la première étude portant sur les facteurs biologiques de comportements affiliatifs chez les poissons. Les résultats de cette recherche postdoctorale effectuée à l’Université Harvard seront publiés dans le numéro de mars de Molecular Ecology.
Un couple uni… Les couleurs de ces poissons varient d’une espèce à l’autre et diffèrent également entre les individus dominants et les subalternes. «Chez le Neolamprologus pulcher, un mâle et une femelle monogames et dominants élèvent ensemble la portée comme chez les oiseaux, fait remarquer la professeure Aubin-Horth. Avec eux vivent de 1 à 15 individus subordonnés qui nettoient les œufs et aident à protéger le territoire. Chacun a la capacité de reconnaitre visuellement non seulement le rang social des autres poissons mais aussi les individus qui ne font pas partie du groupe.» Un intrus ou un mâle adulte compétiteur pourra facilement être mis à mort. Fait étonnant, la femelle manifeste d’autant d’agressivité que le mâle dans la défense du territoire et les chercheurs parlent, dans ce cas inhabituel, de comportement masculinisé. Pour comprendre les mécanismes de ce comportement particulier chez la femelle, Nadia Aubin-Horth a mesuré le taux d’expression cérébral de trois hormones – soit la testostérone, la 11-kétotestostérone et l’arginine vasotocine – chez les mâles et les femelles, tant dominés que dominants.
… par la vasotocine Le même profil a été observé pour l’arginine vasotocine (AVT). «L’AVT est une neurohormone dont l’équivalent chez les mammifères est la vasopressine, précise la chercheuse. Elle joue un rôle dans la territorialité, la reproduction et l’affiliation sociale.» On sait que l’augmentation du taux de vasopressine chez le mâle campagnol polygame asocial le rend monogame et affectueux. Le niveau de la 11-kétotestostérone, un androgène propre aux poissons, s’est révélé pour sa part significativement plus haut chez les mâles que chez les femelles, quel que soit le rang social. «Les caractères sexuels particuliers des mâles viennent donc de la kétotestostérone, conclut la chercheuse. L’arginine vasotocine pourrait être responsable du lien d’affiliation entre les deux membres du couple dominant, alors que le haut niveau de testostérone serait lié aux comportements de défense du territoire.» Cette hypothèse sera testée dans les prochains travaux de Nadia Aubin-Horth, qui cherchera à moduler les taux de l’AVT et de la testostérone chez le Neolamprologus pulcher afin d’en noter les effets sur les comportements de dominance et d’affiliation. La professeure a également pris en compte l’expression, dans la région cérébrale, d’une cinquantaine de gènes associés à des différences interindividuelles. Les résultats ont révélé que le cerveau des femelles dominantes ressemble plus à celui des mâles, dominants ou subordonnés, qu’à celui des autres femelles.
Les avantages de la coopération «La sélection de parentèle peut permettre de comprendre ce phénomène puisque les jeunes poissons sont apparentés à la nouvelle portée», explique la chercheuse. La probabilité que les jeunes et les alevins aient les mêmes parents est très élevée. Du point de vue de la diffusion génétique, les jeunes ont donc intérêt à assurer la survie de leurs frères et sœurs cadets. Mais cette règle ne tient plus dans le cas des poissons subalternes plus vieux, qui ne sont pas nécessairement des mêmes père et mère que les plus jeunes. «Dans leur cas, ils profitent des avantages du groupe pour la défense du territoire, ce qui leur confère un meilleur taux de survie. C’est le principe du “payer pour rester”», souligne Nadia Aubin-Horth. Le couple dominant profite également de cette coopération, dont les avantages sont plus grands que le cout associé à la compétition d’éventuels rivaux au sein du groupe. Daniel Baril |
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