Volume 41 - numÉro 22 - 26 FÉVRIER 2007
|
|
||||||
Intervenir avant l’assassinat des femmes menacéesDes chercheuses créent un guide pour lutter contre l’homicide de la conjointe
En 2004, au Québec, 22 femmes ont été assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint. Certains de ces drames auraient pu être évités si les professionnels interpelés avaient pu déceler les signes avant-coureurs de l’agression fatale, selon Christine Drouin, auteure d’un mémoire de maitrise sur la violence conjugale à haut risque de létalité à l’École de criminologie de l’UdeM. «Il y a des indices qui peuvent aider les intervenantes à juger de l’imminence du danger, signale-t-elle. Si le risque est élevé, il faut à tout prix protéger la femme.» Quand un homme est en présence de son ex-conjointe à l’endroit de laquelle il a déjà proféré des menaces, le risque du passage à l’acte est grand. S’il a auparavant été violent envers elle et qu’une arme est à sa portée, alors c’est un cas d’extrême urgence. Pour les travailleuses des maisons d’aide et d’hébergement en contact avec des femmes dans une telle situation, chaque minute compte. Dans le but d’aider ces intervenantes, regroupées dans une centaine de maisons d’hébergement pour femmes violentées en contexte conjugal, Christine Drouin a écrit avec Julie Drolet (une intervenante dans un centre de femmes) un guide d’intervention intitulé Agir pour prévenir l’homicide de la conjointe. Ce guide, auquel ont contribué une douzaine d’universitaires et d’intervenantes, est en quelque sorte un mode d’emploi pour sauver la vie des femmes menacées. «Le niveau élevé d’urgence contraint souvent les intervenantes à réagir rapidement, et ce, sans avoir nécessairement toutes les informations requises pour évaluer la situation et décider quelle est l’intervention la plus appropriée», peut-on lire dans l’introduction. Ce guide est là pour remédier à la situation. 15 questions Dans le guide, trois niveaux de danger sont considérés: le danger imminent, le danger à court ou à moyen terme et le danger persistant. Dans le premier cas, la police doit être prévenue sans tarder, à moins que la femme s’y oppose. Dans les deux autres, le travail de l’intervenante pourra s’échelonner sur une plus longue période. Mais il faut demeurer vigilant dès que l’ex-conjoint est dans les parages. Par exemple, si la femme doit se présenter en cour, elle doit être accompagnée d’un gardien de sécurité et exiger une salle d’attente sécuritaire. «En relatant un drame passionnel, les médias montrent souvent des voisins étonnés qui racontent que le tueur était un homme calme, sans histoire, évoque l’agente de recherche au Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes (CRI-VIFF). Cela laisse entendre que la violence conjugale apparait subitement. Erreur. La plupart du temps, les meurtres ont été précédés de multiples agressions. La femme a consulté des organismes d’aide aux femmes violentées, la police est déjà intervenue...» Si les comportements et attitudes de l’ex-conjoint sont des facteurs clés dans l’évaluation du risque, d’autres éléments doivent être pris en considération. «Il y a des périodes critiques. L’année qui suit une séparation est certainement la plus risquée. On parle même des premiers mois comme étant un moment capital.» Pour diminuer le risque d’homicide, les spécialistes conseillent aux femmes qui viennent de se séparer de changer leur routine, comme de ne plus faire leur épicerie le jeudi si tel était le cas. Les intervenantes doivent apprendre différentes manières de faire passer leur message, car les femmes violentées se méprennent souvent sur les risques qu’elles courent. Elles connaissent ainsi le caractère changeant de leur ex-conjoint. Des moments de gentillesse, voire de douceur, succèdent aux emportements agressifs. Il faut s’en méfier, de même que des menaces et du harcèlement, autant d’indices sérieux. «On doit aussi considérer le risque de suicide de l’ex-conjoint. S’il n’a plus rien à perdre, il est encore plus susceptible d’attenter à ses jours», note Mme Drouin.
Un guide utile L’homicide conjugal étant un phénomène plutôt urbain (c’est dans les grandes villes que surviennent la majorité des meurtres de conjointes), les intervenantes des régions périphériques se sont montrées très intéressées par les façons de prévenir les tragédies que les spécialistes leur ont communiquées. Plus de 320 personnes ont reçu la formation de Mmes Drouin et Drolet. Selon les réponses qu’elles ont fournies au questionnaire qui leur a été remis, le guide leur a permis de modifier leur approche lorsqu’elles font face à un risque d’homicide conjugal. Le guide est actuellement vendu au CRI-VIFF. Pour Christine Drouin, c’est l’aboutissement d’un projet qui a débuté en 2000, alors qu’elle décidait de consacrer ses études de deuxième cycle en criminologie aux situations conjugales «à haut risque de létalité» sous la direction de Guy Lemire, professeur à l’École de criminologie, et Gilles Rondeau, professeur à l’École de service social. Elle avait rencontré, pour les besoins de ce travail, une trentaine de femmes violentées et d’intervenants (policiers, procureurs et intervenants correctionnels). En 2004, une subvention, obtenue par Gilles Rondeau et son équipe, de 200 000 $ des gouvernements fédéral et provincial (sous le parrainage de la Stratégie nationale pour la prévention du crime) a permis de donner une nouvelle dimension à ce projet. Mathieu-Robert Sauvé |
Ce site a été optimisé pour les fureteurs Microsoft Internet Explorer, version 6.0 et ultérieures, et Netscape, version 6.0 et ultérieures.