Volume 41 - numÉro 23 - 12 MARS 2007
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À quoi doit penser un écrivain?Yvon Rivard, écrivain du réel, livrera sa conception du rôle de l’écrivain dans un échange avec Élisabeth Nardout-Lafarge
Le titre de cet article aurait pu être «Pourquoi un écrivain doit-il penser?» «Parce qu’il y a une femme sans-abri, couchée sur le trottoir, juste en face de mon bureau», répond Yvon Rivard, romancier et essayiste. Pour ce professeur de littérature québécoise et de création littéraire à l’Université McGill, tout intellectuel et tout créateur devraient être «orientés par la réalité» et «habités par l’idée que leur pensée peut transformer cette réalité». Il déplore en fait que les intellectuels de sa génération se limitent à poser des questions sans chercher à formuler de réponses, succombant ainsi à «la pensée sans douleur». «Penser, écrit-il dans son dernier essai Personne n’est une île, c’est toujours, en définitive, sauver l’homme et le monde en les arrachant constamment au réel.»
Penser sur commande Dès les premières lignes de Personne n’est une île, l’auteur se place lui-même, et avec une pointe d’autodérision, en paradoxe avec la critique adressée aux intellectuels: «Je ne pense que sur commande», dit-il. C’est ainsi que l’écrivain établit la différence entre le romancier et l’essayiste. «Tous mes essais, y compris celui sur lequel je travaille présentement et qui est tiré d’une conférence à l’Académie des lettres du Québec, sont des commandes, précisait-il au cours d’une entrevue à Forum. Ce n’est pas le cas pour les romans, qui ne sont pas commandés et que j’écrirais de toute façon.» Malgré la commande, écrire pour une revue littéraire n’en constitue pas moins pour Yvon Rivard un don que l’expression «donner un texte» traduit bien. Mais écrire pour une revue éloigne momentanément l’écrivain de son œuvre: «C’est véritablement donner quelque chose pour qu’une autre œuvre, collective celle-là, existe.» Pourquoi l’écrivain accepte-t-il une telle distraction? «Le désir de sortir de chez soi, le désir d’agir, explique Yvon Rivard dans son volume. Sortir de chez soi est une nécessité psychologique, intellectuelle et morale pour tout le monde, mais peut-être encore davantage pour l’écrivain qui vit, la plupart du temps, centré sur lui-même, dans la posture de Narcisse.» Une position d’isolement qu’il doit combattre, personne n’étant une ile: «Malheur à l’écrivain qui se regarde écrire, malheur au lecteur qui se regarde lire. Malheur au critique qui ne lit plus que ce qu’il écrit.»
Une œuvre vivante Il y a donc une large part autobiographique dans ses premiers romans, mais aussi autant de situations et d’intrigues inventées. «Aujourd’hui, je n’ai plus besoin d’inventer parce que je vois la réalité comme un rêve, comme un récit. Le réel est suffisamment incroyable, même dans ses aspects les plus insignifiants.» Étant à la fois professeur et écrivain, Yvon Rivard estime que les deux personnes font chez lui bon ménage. «Il n’y a pas de fossé entre écrire et enseigner, dit-il. J’ai toujours réussi à travailler librement dans mes cours en abordant les œuvres comme quelque chose de vivant, qui est en train de se faire, et en y cherchant ce qui nourrit la pensée.» Il décoche tout de même quelques critiques à l’égard de sa discipline, déplorant qu’on soumette la pensée à des outils comme la linguistique ou la narratologie. «Les études littéraires sont construites de pseudosciences. Si les outils ne sont pas mis au service de la compréhension du message de l’auteur, à la recherche de sa question centrale, de son os central, ça ne sert à rien.» Les critiques littéraires reconnaissent Yvon Rivard comme un romancier hors pair, «pourri de talent», à la «richesse verbale prodigieuse». Quatre de ses sept ouvrages ont été primés: Prix du Gouverneur général pour Les silences du corbeau, prix Gabrielle-Roy pour Le bout cassé de tous les chemins, Grand Prix du livre de la Ville de Montréal pour Le milieu du jour et Le siècle de Jeanne. Daniel Baril
L’entretien avec Yvon Rivard se déroulera le jeudi 22 mars, à 11 h 45, au 3200, rue Jean-Brillant, salle B-3335. L’entrée est libre. |
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