Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 26 - 2 avril 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

La France à l’heure des accommodements religieux

Le sociologue Jean Baubérot jette un regard critique sur le projet de charte de la laïcité

Le hidjab a fait couler beaucoup d’encre en France, où il est interdit à l’école.

Depuis le début de la tempête provoquée par les médias sur les accommodements religieux, plusieurs ont défendu l’idée d’une charte de la laïcité pour le Québec. C’est la voie qu’a retenue la France, elle aussi aux prises avec une montée de revendications perçues comme des atteintes à la laïcité de l’État.

L’un des principaux acteurs du débat actuel sur cette question en France, le sociologue Jean Baubérot, était de passage à l’UdeM  la semaine dernière. Il a livré un point de vue critique sur le projet de charte laïque présenté récemment au premier ministre français, Dominique de Villepin, par le Haut Conseil à l’intégration.

Titulaire de la Chaire en histoire et sociologie de la laïcité à l’École pratique des hautes études, Jean Baubérot a également été membre de la commission Stasi, dont les travaux ont conduit à l’adoption de la loi sur l’interdiction des signes religieux ostentatoires à l’école, orientation qu’il a toutefois refusé d’endosser.

«Notre invité est un “perturbateur” de la commission Stasi», a mentionné Micheline Milot,  coordonnatrice du groupe Religion et ethnicité du Centre d’études ethniques des universités montréalaises, en présentant le professeur. Se disant lui-même «hérétique par rapport à la laïcité dominante», le sociologue était également l’invité-vedette du colloque sur la diversité religieuse à l’école publique organisé par la Chaire de recherche du Canada sur l’éducation et les rapports ethniques.

Le refus de la mixité des soins
Auteur de L’intégrisme républicain contre la laïcité, Jean Baubérot combat cette vision de la laïcité qui doit équivaloir à la «règle républicaine française», règle en dehors de laquelle toute forme de laïcité serait soit impossible, soit dénaturée. À son avis, la laïcité amalgamée à un patriotisme républicain franco-français bloque l’acceptation du pluralisme; il plaide pour une laïcité inclusive basée sur la loi relative à la séparation de l’Église et de l’État de 1905.

Selon le professeur, le document de réflexion qui a mené au projet de charte de la laïcité reflète la «règle républicaine». «La France, dit-il, ne supporte pas le pluralisme.»
La charte proposée, qui ne serait pas une loi mais aurait la portée d’une déclaration, s’adresse à toutes les institutions publiques et plus particulièrement aux services de santé. Le projet a vu le jour à la suite d’«incidents» au cours desquels des musulmans ont refusé que des médecins masculins soignent leur femme. Dans certains cas, des altercations violentes s’en sont suivies.

À la lumière de ce qu’il appelle «une enquête personnelle artisanale», Jean Baubérot souligne que des maris musulmans ne sont pas seuls à refuser la mixité des soins pour leur conjointe; il a aussi entendu des femmes non musulmanes dire préférer une médecin pour des raisons de pudeur. Il n’a toutefois pu donner de chiffres pour préciser le tableau de la situation.

Voulant dénouer les problèmes que ce refus pose dans les hôpitaux, le projet de charte demeure ambigu. Il est simplement dit que «les usagers des services publics ne peuvent, en raison de leurs convictions, récuser un agent public ou d’autres usagers, ni exiger une adaptation du fonctionnement du service ou d’un équipement public».

Selon le professeur Baubérot, si l’on interprète cet article comme une interdiction de choisir son médecin dans un hôpital, cela ira à l’encontre de la Loi sur le droit des malades, qui permet un tel choix.

Jean Baubérot

Jean Baubérot

Sacralisation et miroir grossissant
Pour le sociologue, ce refus d’accorder le libre choix du médecin montre que l’État continue de sacraliser la profession médicale alors qu’elle est largement désacralisée dans la population et qu’elle est marquée par l’approche consommateuriste. «L’État ne se justifie plus par la religion mais par la science, qui promet une meilleure vie. La médecine a une fonction politique en France», déclare-t-il.

Le refus de la mixité des soins serait également dû à une mutation du sens de la pudeur dans une société hypersexualisée. Sans prendre en considération la formation nécessaire à la pratique de la médecine ni la complexité de l’organisation des services infirmiers, Jean Baubérot ne voit pas pourquoi on n’adopterait pas la règle de la non-mixité dans les hôpitaux alors qu’elle est appliquée pour les fouilles dans les aéroports.

Il s’interroge également sur le fait que les dérogations demandées par les musulmans suscitent plus de réactions que celles demandées, plus fréquemment et depuis plus longtemps, par les juifs. À son avis, il y aurait culpabilité héritée de la guerre dans le cas des juifs tandis que l’islam apparait comme un miroir grossissant à cause de l’intégrisme qui marque certains milieux musulmans.

Finalement, le professeur craint que la charte de la laïcité n’ait le même effet pervers que la loi Stasi, laquelle inciterait les minorités religieuses à se tourner vers l’école privée confessionnelle, financée à 90 % par les fonds publics. Il y aura une demande, croit-il, pour la mise en place d’un système de santé religieux. Il a dit avoir défendu, au sein de la commission Stasi, une position favorable à une loi couvrant l’ensemble de la question religieuse à l’école, incluant la problématique de l’école privée et des concordats comme celui de l’Alsace-Moselle, plutôt qu’une loi dont l’intention visait essentiellement le port du hidjab.

Daniel Baril

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