Volume 41 - numÉro 28 - 23 avril 2007
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La maladie du sucre à Tahiti: pour un décodage culturel de la souffranceGeneviève Imbert-Berteloot a exploré la souffrance de Polynésiens diabétiques en analysant la représentation de leur maladie recueillie dans leur langue maternelle
Geneviève Imbert-Berteloot a mené ses travaux de doctorat dans le cadre le plus enchanteur qui soit: Tahiti. Le soleil, les plages de sable blanc et les cocotiers ne sont pourtant qu’un miroir aux alouettes pour l’anthropologue qui a observé comment des Polynésiens autochtones atteints du diabète de type 2 vivaient leur maladie. «Ces années de terrain dans la zone urbaine de Tahiti m’ont effectivement éloignée de cette magie et de ce rêve associés à cette destination qualifiée d’“ile mythique”», déclare-t-elle. «On peut s’interroger sur la légitimité d’une recherche qui s’intéresse aux problèmes de santé d’un peuple minoritaire résidant dans une poussière d’ile de la Polynésie française», concède d’emblée la docteure en santé publique et en anthropologie (UdeM-Bordeaux 2). Peu de recherches sur le diabète de type 2 peuvent toutefois se targuer d’avoir été poursuivies dans une langue vernaculaire comme l’a fait Mme Imbert-Berteloot. En conversant en tahitien, l’anthropologue a pu analyser comment 30 Polynésiens diabétiques se représentent leur maladie. Cette étude inédite a permis de comprendre pourquoi la «maladie du sucre» fait tant de ravages dans la communauté autochtone, alors que tous les Polynésiens ont accès à un système de santé adéquat. La recherche a surtout mis en relief l’importance d’une approche sanitaire plus humaine afin d’améliorer la communication entre le patient et son médecin. Décalage culturel Les cliniciens se trouvent ainsi à infantiliser et à culpabiliser les malades, car ils ne les jugent qu’à l’aune des résultats de leurs examens, qui confirment des perturbations de la glycémie. Parlant peu ou pas la langue tahitienne, ils ne comprennent pas ce qui pousse leurs patients à consommer du sucre malgré l’interdiction formulée. «Ils ignorent que les Polynésiens considèrent le diabète comme une “maladie mortelle, effrayante, incurable” associée à la crainte que leurs pieds soient “découpés” s’ils sont “pourris”, c’est-à-dire “infectés”», souligne Mme Imbert-Berteloot.
«Les Polynésiens sont convaincus que le diabète est une “vraie” maladie que la médecine occidentale ne peut pas guérir. Pourquoi devraient-ils alors subir les contraintes imposées par le médecin? La plupart n’apportent aucun changement à leurs habitudes de vie», explique l’anthropologue. Les conséquences d’un tel «malentendu» se révèlent particulièrement dramatiques. La prise en charge du patient est trop souvent tardive. Dans son dernier rapport, le service d’information médicale du Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) souligne que les diabétiques sont hospitalisés «à un stade plus avancé de leur maladie avec complications» et qu’«ils font des affections plus graves et plus récidivantes que la population en général». Impuissance médicale et espoir du divin Dans plus de la moitié des cas étudiés par Geneviève Imbert-Berteloot, les Polynésiens subissent ou nient leur maladie, comme si elle relevait de l’épreuve divine. «Dieu est leur grand guérisseur dont la puissance extrême transcende le pouvoir médical», déclare-t-elle. Seulement 2 Polynésiens sur 30 ont vécu leur maladie comme un combat, pour échapper au fardeau de la douleur supportée par leurs parents qu’ils ont vus mourir de la «maladie du sucre». La chercheuse a remarqué en outre que certains diabétiques associent clairement «les Blancs» à l’origine de leur maladie, puisque ceux-ci seraient responsables de l’importation d’aliments qualifiés de toxiques, comme les frites, le steak ou le bœuf en boite. Pour Mme Imbert-Berteloot, cet argument rappelle les profondes perturbations du mode alimentaire des Amérindiens qui, comme les Polynésiens, vivaient autrefois de chasse et de pêche. Les résultats de ces travaux invitent donc les professionnels de la santé, tant québécois que polynésiens, à porter un regard critique sur leur pratique, en intégrant et en respectant davantage les différences socioculturelles dans les milieux cliniques. «Cela implique de jeter un regard différent sur la maladie et sur les personnes qui en souffrent», soutient celle qui souhaite approfondir davantage cette question à l’occasion d’un stage postdoctoral. «Si le médecin doit jouer un rôle d’accompagnateur plutôt que de pourvoyeur de directives médicales, l’anthropologue contribue, de son côté, à rendre intelligible la construction de l’univers du sens de celui qui souffre.» Marie Lambert-Chan |
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